Kadiatou est une Française d’origine malienne, excisée quand elle était enfant. En 2022, à l’âge de 46 ans, elle s’est présentée à la consultation spécialisée de Genève pour obtenir une reconstruction du clitoris. Elle souhaitait accéder à la vie sexuelle épanouie qui lui avait été volée à l’aube de sa vie. Témoignage.
Lorsqu’elle avait 3 ans, à l’occasion de vacances d’été au Mali, le pays de ses parents, Kadiatou (prénom modifié) a subi une excision. C’était en 1979, elle vivait alors en Picardie, où elle est née et où elle a grandi. Elle a dû attendre son premier rendez-vous avec la Dre Jasmine Abdulcadir, fondatrice et responsable de la consultation en mutilations génitales féminines des Hôpitaux universitaires de Genève, pour comprendre ce qu’on lui a coupé ce jour-là. Elle avait 46 ans, elle en a 48 aujourd’hui, et c’était le combat d’une vie. Elle a accepté de nous relater son histoire, que voici. On estime que plus de 230 millions de femmes et de filles vivent avec une mutilation génitale dans le monde.
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«Tout débute l’été 1979, j’ai trois ans. Avec ma sœur et ma maman, on entame un voyage au Mali, pour les vacances soi-disant. Je n’en garde que de vagues souvenirs mais ce qui est sûr, c’est que le jour de l’excision, on s’est retrouvées dans une chambre de la maison familiale de mon papa, où plusieurs femmes étaient assises par terre. Je portais un pantalon patte d’eph’ orangé. Il y avait une sorte de fête. Ça a d’abord été ma sœur et après, j’y suis passée. Je me souviens qu’on m’a tenu les jambes et les bras de manière à ce que je ne bouge pas. Ça s’est fait à même le sol. Il y avait un tapis en paille, que l’on utilise pour faire la sieste avec un pagne. J’ai entendu une petite fille crier et pleurer. Je pense qu’on n’était pas les seules.
Quand je suis sortie, je n’oublierai jamais le fait que les femmes dansaient, elles faisaient la ronde et chantaient. Leurs chants célébraient le fait qu’on était devenues des femmes fortes.
Ensuite, ça a été la guérison. Puis, on est rentré en France. On habitait à Compiègne, en Picardie, dans le Nord. Certaines de mes copines avaient subi cette mutilation. Au collège, on en parlait déjà entre nous, on se disait que c’était la religion qui nous imposait de le faire et qu’on devait le respecter. Dans la famille, c’était l’omerta. Moi, je pensais que toutes les petites filles passaient par là. Avec mon amie d’enfance, vers l’âge de 15 ans, je me suis rendu compte que non, il existe différents types de mutilations, plus ou moins importantes, selon les pays et les coutumes. Certaines copines du Sénégal ne l’avaient pas subi.
Ce problème a ressurgi à partir du moment où j’étais en couple, lorsque j’étais encore étudiante. Je n’avais pas cette envie que pouvaient avoir d’autres femmes quand elles parlaient d’orgasme. Cela me faisait mal parce que je me disais que je n’étais pas une femme accomplie et que, peut-être, je n’étais pas normale. Je n’ai jamais trouvé de satisfaction avec mon premier petit ami, pareil avec le père de mes enfants, que j’ai rencontré quelques années plus tard. C’était même pire parce que je le voyais comme un devoir pour qu’il puisse assouvir ses envies.
Moi, je n’avais pas de désir, je n’avais presque pas d’orgasme et j’étais toujours crispée pendant l’acte. Je mettais la faute sur le fait que j’avais été excisée. Nos relations intimes se passaient très mal. Cela a été l’une des causes de notre séparation.
Je suis restée plusieurs années sans relation parce que je ne voulais pas revivre cet échec. Jusqu’au jour où je me suis dit que je ne pouvais pas rester comme ça. J’avais vu un reportage sur une femme en région parisienne, qui racontait son histoire autour de l’excision. A l’époque, j’habitais Villejuif (près de Paris, ndlr.) et je me suis rendue pour des stages à l’hôpital Kremlin-Bicêtre, qui faisait la reconstruction du clitoris – je travaille dans le milieu médical, je suis préparatrice en pharmacie. J’ai pris rendez-vous, mais ce n’était pas possible d’obtenir une première consultation avant quatre mois. De plus, celle-ci devait être suivie de plusieurs consultations avec d’autres professionnels et je devais par ailleurs participer à des groupes de paroles de femmes mutilées. Je ne suis pas allée plus loin car je trouvais que la démarche était trop longue et je savais ce que je voulais.
Je voulais absolument avoir l’opération. Savoir qu’on m’avait mutilé un bout de chair, je ne pouvais pas l’accepter. Pour moi, avec la reconstruction du clitoris, la sensibilité allait revenir. Quand j’étais plus jeune, je croyais qu’on allait nous couper un bout de chair pour le recoudre au niveau de la partie génitale, comme une greffe. J’ai compris plus tard, lorsque j’étais étudiante, qu’en fait on va récupérer la partie enfouie du clitoris pour la faire ressortir.
Je voulais absolument qu’on ressorte mon clitoris de façon à ce que moi aussi je sois épanouie, que je vive vraiment ma vie de femme.
Sur le plan personnel, c’était difficile: je vivais seule avec mes enfants et mon père était malade, puis il est décédé en 2014. En 2020, j’ai déménagé dans les Alpes, en France. Pour la première fois de ma vie, j’étais enfin posée. J’ai rencontré mon conjoint en 2021 et je ne voulais pas que ce qui s’était passé avec le père de mes enfants se répète avec lui. Mes fils étaient grands – ils avaient 14 et 16 ans – et ils étaient capables de se débrouiller si je devais subir une opération. Ma prise de décision a été facile et très encouragée par mon copain.
Je voulais être opérée par un chirurgien qui m’écouterait, me comprendrait et surtout, je ne voulais pas qu’il y ait plusieurs étapes! En regardant sur internet, j’ai vu tout ce que faisait la Dre Jasmine Abdulcadir et qu’elle était aux Hôpitaux universitaires de Genève. J’ai eu un rendez-vous avec elle au printemps 2022. Je lui ai raconté mon histoire. Elle m’a posé des questions. Pendant la consultation, elle m’a expliqué ce qui avait été fait et ce qu’elle avait l’intention de faire pour pouvoir réparer. La dame [qui a réalisé l’excision] avait aussi mutilé une partie des lèvres internes, en plus du clitoris.
Elle voulait que je voie Nathalie Recordon, psychologue et sexologue aux HUG, au sujet de mes difficultés à être sereine lors d’un rapport sexuel. Elle était aussi très à l’écoute. J’ai beaucoup échangé avec elle. Elle m’a fait prendre conscience que pour mieux connaître cette partie, je pouvais la toucher afin d’en connaître la sensibilité. Elle m’a expliqué comment prendre son temps avant l’acte, comment ne pas être crispée, je n’y avais jamais pensé. J’ai mis en pratique tout ce qu’elle m’avait dit.
J’ai eu l’intervention le 21 juillet [2022], c’était un jeudi. Ça s’est super bien passé. Quand je suis sortie, je n’avais pas mal car j’étais sous antidouleur. Je suis rentrée à la maison avec mes prescriptions.
Le jour d’après, j’appelle ma maman et je lui dis:
J’ai fait l’intervention.
Mais quelle intervention?
Je lui explique ce que j’ai subi et elle me dit:
Ah bon, tu as osé faire ça? T’es allée jusque-là?
Oui maman, je l’ai fait.
Avec ma maman, on n’en avait jamais discuté. C’est la première fois qu’on en parle. Le lendemain, elle me rappelle pour prendre de mes nouvelles et elle m’avoue qu’elle avait été obligée de le faire. Sa belle-famille lui mettait la pression pour que nous subissions, moi et ma sœur, cette mutilation. Ma mère l’a aussi subie et elle devait le faire à ses filles. Elle ne l’avait même pas dit à mon papa. Il n’était pas au courant. Mon papa était quelqu’un d’instruit, il n’aurait jamais voulu qu’on subisse ça. Il était conscient qu’on aurait pu mourir. Ma maman n’est jamais allée à l’école, elle ne voyait pas trop l’impact que ça pouvait avoir. Le poids des coutumes était trop important.
Durant des années, j’en ai voulu à ma maman à cause de ça. Pour moi, ma maman n’était pas une femme forte parce qu’elle n’a pas résisté à la pression de sa belle-famille pour qu’on subisse cet acte-là. Quand elle m’a rappelée, ce jour-là, je lui ai vraiment pardonné. À présent, on en parle ouvertement. Hier soir, on est restées plus d’une heure au téléphone, à en parler. Je suis contente.
Quatre à cinq jours après l’opération, les douleurs se sont fait sentir, et là j’étais vraiment pas bien. Je me regardais et je voyais que le clitoris était à vif, c’était boursouflé. J’ai eu vraiment le soutien de mon conjoint, qui est venu passer du temps avec moi. J’en ai parlé à mon fils aîné, car il ne comprenait pas pourquoi j’étais à la maison. Je voulais aussi qu’il soit sensibilisé par rapport au fait qu’il y a des femmes africaines qui ont été excisées. Ce phénomène existe toujours en Afrique. Il était très gêné, il n’osait même pas me regarder! Il avait beaucoup de compassion pour moi, il était aux petits soins, il me faisait à manger. Par contre, je n’en ai pas discuté avec mon fils cadet, parce que je ne le trouve pas encore assez mature et cet été-là, il était avec son papa.
J’ai été arrêtée trois mois. Les douleurs étaient bien présentes, d’autant plus que je ne supporte pas le Tramadol (antidouleur post-opératoire, ndlr.). Lorsque je prenais cet antidouleur, je n’avais plus mal, mais je n’arrêtais pas de vomir. Je devais rester à l’air libre pour que ça cicatrise au plus vite. Il fallait attendre qu’une petite peau se forme au niveau du clitoris, qui avait été ressorti. La reprise du boulot était impossible, je ne pouvais pas mettre de pantalon, j’ai passé trois mois en jupe ou en pagne. Avec le temps, la douleur s’est estompée et j’ai pu reprendre une activité normale. J’avais tellement hâte de reprendre le travail! Rester à la maison, je n’en pouvais plus.
Au départ, je pensais que ce serait un frein vis-à-vis de mon employeur. Pour justifier tous ces arrêts, je me suis demandé s’il fallait révéler à mon chef de production en quoi consistait ma future intervention. Ça faisait deux ans qu’on travaillait ensemble, je ne me voyais pas lui cacher ça. Il est très ouvert. Je sais qu’il est à l’écoute et je voulais que tout se passe de manière normale. Je lui ai dit ce que j’allais vivre et il m’a dit: ‘Vas-y!’. Il m’a vivement encouragée, ça m’a fait du bien. On va dire que toutes les planètes étaient alignées pour réaliser cette intervention chirurgicale!
Une partie de la reconstruction m’a été remboursée. J’ai eu d’autres rendez-vous avec la Dre Abdulcadir, une semaine, puis trois et six mois après, et enfin une année après. La cicatrisation s’est bien passée. Tout s’est remis en place. J’ai aussi revu [la psychologue] Nathalie Recordon pour faire le point sur l’intervention et lui partager mon état d’esprit. Elle m’a dit que je pouvais revenir la voir si je rencontrais des soucis lors des relations intimes. Je n’ai pas repris rendez-vous avec elle parce que, franchement, tout va bien! Quand je vois les retours de mon conjoint, je me dis que je suis sur la bonne voie.
Maintenant, t’en as envie?
Oui! Franchement, oui!
On apprend à se connaître de manière intime. A aucun moment, je n’aurai de regret quant à cette intervention. Nous faisons des petits jeux autour de ça, chose que je n’aurais jamais pu concevoir auparavant. Franchement, je suis trop contente. Maintenant, je ressens des orgasmes, alors ça, c’est le jour et la nuit!»