Notre périple se poursuit sur la côte méditerranéenne, à Tartous. Dans cette ville balnéaire vit une majorité d’Alaouites, soutien historique du clan Assad et minorité honnie des islamistes. Pour parvenir à une éventuelle cohabitation pacifique, le fossé à combler est profond.
Depuis une semaine, la Syrie envoie l’image d’un pays uni. Uni dans la joie de s’être enfin débarrassé de son tyran. Uni dans la douleur en découvrant chaque jour l’ampleur des crimes commis par le clan Assad. Uni dans l’espoir de construire enfin l’avenir ensemble. Et lorsque on parcourt la place Omeyyades à Damas, où des rebelles venus d’Idlib, kalachnikovs en bandoulière, se prennent en photo avec des jeunes filles de la capitale se rêvant «influenceuses» sur Instagram, on a envie d'y croire.
Mais le pouls d’un pays ne se prend pas dans les grandes villes.
Dimanche dernier, nous étions dans la petite ville côtière de Tartous, au bord de la Méditerranée, avec Noé Pignède. La localité est considérée comme un fief des partisans de Bachar el-Assad en raison de sa forte présence alaouite, cette minorité religieuse dont est issu le président déchu. C’est aussi à Tartous que les Russes possède une base navale stratégique, qui sert d’appui à sa flotte en mer Noire et de point de projection vers l’Afrique, qu’ils ont dû évacuer en catastrophe avec la chute du régime.
Les Alaouites, environ 10% de la population syrienne, habitent surtout sur la bande côtière, notamment autour de Lattaquié où elle est dominante, et dans certains quartiers des grandes villes. La communauté, qui a conservé une organisation tribale, est cimenté autour d’un culte initiatique, mêlant religion musulmane et mysticisme, qui entretient une parenté lointaine avec l’islam chiite. Pour les tenants d’un islam sunnite rigoureux, dont beaucoup d’opposants au régime de Bachar el-Assad, les Alaouites font figure de secte hérétique.
Le clan Assad est lui-même alaouite, et s’est largement appuyé sur la communauté pour dominer le pays. Les Alaouites, qui sont pour la plupart d’entre eux fonctionnaires ou militaires, ont profité de leur alliance avec le pouvoir. Mais ces dernières années, alors que la Syrie se déchirait au profit du clan Assad, nombre d’entre eux sont tombés dans la pauvreté. Le soutien s’est fait plus fragile, et s’y mêlait une crainte des représailles en cas de chute du régime. Pour l’heure, les nouveaux maîtres de Damas prônent la tolérance envers les minorités, sans qu’on sache si cette ligne va résister à l’épreuve du temps.
Tartous est seulement à deux heures de route de la grande ville de Homs, aussi sous contrôle du régime jusqu’à sa chute, mais le contraste entre les deux est abyssal. Effrayant, même. Homs est un champ de ruines où des familles ne mangent pas à leur faim. Tartous est une cité balnéaire où les restaurants de bord de mer servent des salades et du poisson frais.
En parcourant ses rues, j’ai eu l’impression d’être à Tel-Aviv, où des jeunes font la fête à quelques kilomètres de la bande de Gaza, affamée et bombardée sans relâche.
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