Là-bas, tout le monde connaît l'histoire de l'intrépide chanteur d’opéra revenu de France pour défendre sa patrie. Par un patient travail de mémoire, les Ukrainiens œuvrent à façonner la légende de Wassyl Slipak, peu à peu statufié dans sa gloire posthume. Autant que d'obus, la nation ukrainienne a besoin de héros.

Le voilà tout enrubanné. Sur la place du marché, le musée d’histoire de Lviv est en cours de rénovation depuis le mois de juillet 2023. Etonnant: la façade se refait une beauté en plein conflit. Comment ne pas y voir un pied de nez à la guerre déclarée par la Russie, qui est aussi une guerre culturelle? Les bâches claquent au vent comme des étendards de l’identité ukrainienne. Oui, nous rénovons, préservons notre patrimoine et croyons en sa pérennité, semblent chanter en chœur les quatre statues de la place. Emportée par mon lyrisme cérébral, je butte sur un des sacs de sable massés au pied de ce palais construit en 1580 pour un riche marchand de la ville.

Transformé en musée, le bâtiment est au diapason des autres bien culturels du pays. Partout dans le beau centre historique de Lviv et dans les villes d’Ukraine, des bâches, des mousses, des plaques de bois et des sacs de sable protègent cahin-caha le patrimoine. De Marioupol à Odessa, de Kharkiv à Donetsk, l’Unesco répertoriait en octobre 2024 plus de 450 sites culturels endommagés ou détruits par la guerre. Alors les statues sont couvertes, les vitraux camouflés, les façades protégées, les réserves des musées mises en lieux sûrs et secrets.

Je suis aussi émue que frappée par le soin méticuleux dont ces œuvres font l’objet. Un soin méticuleux et dérisoire à la fois car, quand un drone ou un missile tombent, la plupart de ces protections attentionnées sont d’un maigre secours. Je ne pense pas être sentimentale en y devinant la nécessité vitale pour les Ukrainiens de prouver au présent comme au futur qui ils sont, avec leur culture, leurs arts, leurs racines. Ces bâches et consorts sont des carapaces sur leur ukrainité attaquée et niée par l’oppressant voisin russe.

Quand il est mort, il m’a intéressée

Je suis perdue dans ces pensées quand Olja Storozh, Doc Martens, cheveux courts, regard bleu et jeans troué, surgit à travers la bâche qui recouvre le fameux Palais Korniakt. Elle est conservatrice au musée et travaille depuis des années sur les diasporas ukrainiennes à l’étranger. J’imagine qu’à ce stade Wassyl vous manque et que, depuis quelques lignes, vous vous demandez où il est passé… Le voici: Olja est responsable du «fonds d'archives Wassyl Slipak» du musée d’histoire de Lviv.

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