Après Kaboul au jour de l’an et la terrible traversée de l’Hindou-Kouch, nous voilà dans le Nord, une grande plaine longtemps coupée du reste du pays par les combats et la destruction des routes. Les talibans ont voulu régner sur Mazar-e Charif comme sur le reste du pays. Ils lui ont apporté la guerre et les massacres et lui laissent dans leur fuite fin 2001 un avenir bien incertain. Entre le Général Dostom et ses ennemis tadjiks, la situation est si tendue que la population réclame une force internationale de maintien de la paix – proposition qui sera refusée par le Conseil de sécurité des Nations unies peu après le passage de notre reporter.
Allons chez les Ouzbeks, l’ethnie majoritaire de cette ville du nord.
Il faut presque détruire la porte de ce lettré, enseignant à l'université de Mazar-e Sharif , pour qu'il comprenne qu'on le demande. Enfin, il invite l'étranger à s'asseoir sur le tapis, main sur le cœur mais des signaux de détresse dans les yeux.
Allons chez les Tadjiks, la minorité persanophone qui gouverne aujourd’hui le pays. Une «barbe blanche» (vieil homme respecté pour sa sagesse) qui tient boutique non loin de la mosquée bleue nous dresse le tableau de la situation:
Allons chez les Hazaras, communauté décimée par les talibans à leur seconde prise de la ville en 1998. Celui-là, prospère contrebandier, claque des doigts pour faire apparaître des bouteilles de vodka. Premier toast pour la paix, le second pour la pluie et le troisième (au lieu des femmes, comme le veut la tradition russe) à une extension à Mazar-e Sharif du mandat de l'ISAF, la force militaire internationale.
Allons chez un observateur occidental:
Il y a plusieurs raisons de pousser la porte du vieux Seyed Mohayouddine Gahauri, homme d'un délicieux commerce qui siège au pied de l'hôtel Barat de Mazar-e Sharif. On peut, comme le mirab (maître de l'eau) Mahmoud Bay, venir le consulter sur le délicat partage des eaux du canal de Dowlatabad, que se disputent deux villages. Gahauri incarne la sagesse de vieille lignée, au dessus des ethnies et des intérêts particuliers. On peut aussi lui acheter de très anciennes tuniques en soie ou des samovars russes dont certains sont en argent. On peut encore venir parler livres précieux: pillé trois fois, il a sauvé deux ouvrages dont le seul autre exemplaire au monde se trouve à Paris, bibliothèque nationale.
Mais ce matin, nous sommes venus lui demander de fermer boutique pour nous montrer Balkh, l’ancienne Bactres, à quinze kilomètres à l'ouest, site d'une prodigieuse antiquité, «mère des cités», vingt-quatre fois détruite, vingt-trois fois reconstruite. Fondée 2500 ans avant notre ère, cette ville a vu naître le prophète Zarathoustra avant d’être conquise par Alexandre le Grand en 329 avant J.-C. Embrasé par son amour pour la princesse Roxanne, le Macédonien voulut faire de Bactres le symbole de la fusion entre son origine grecque et ses conquêtes orientales. La cité, capitale de plusieurs empires prospères, allait lui survivre plus d’un millénaire, jusqu’au passage de Gengis Khan en 1220. Tout fut rasé et ce sont des ruines encore fumantes que découvre Marco Polo cinquante ans plus tard. Tamerlan, au XVe siècle, allait offrir à Bactres une seconde vie en s’y faisant couronner.
Ici est né Rumi en 1207, le grand poète mystique. Deux siècles plus tôt, Rabia, femme de folle beauté, y a écrit avec son sang à l'esclave qu'elle aimait un dernier poème qui coule encore dans les veines des amoureux persans et afghans. Mais Balkh, c'est, de l'avis d'un archéologue français croisé il y a quelques jours à Kaboul, un des sites ayant le plus souffert de ces vingt-trois ans de guerre.
Voilà le mausolée de Kawdja Parsa. Les roquettes ont percé la coupole, les mortiers ont raccourci les minarets d'un mètre ou deux. Qui a tiré?
Voilà le long de la route les monticules de Top-e Rustam et Takht-e Rustam, tout ce qui reste d'un somptueux monastère bouddhiste. Des blindés ont été installés au sommet, de profondes tranchées y ont été creusées. La position est actuellement tenue par un groupe de pachtounes qui viennent de s'allier aux Tadjiks du Jamiat. Quant aux murs de l'édifice, en terre d'excellente qualité, ils ont été mutilés par les paysans pour construire des fours à pain.
Voilà le portique qui subsiste du superbe collège de Seyed Subhan Quli Khan. Une des arches ne tient plus que sur trois briques. Et surtout, les motifs de faïence décrits avec enthousiasme par un guide historique de 1977 ont disparu, arrachés par les bandes armées et bradés aux trafiquants d'antiquités. On en trouve quelques fragments au magasin qui fait le coin, en compagnie de bijoux vieux de deux mille ans (dès cinq dollars) et de lampes à huile datées des premiers jours de l'Islam (négociables à quatre dollars).
Et voilà Bala Hisar, le site immense de la ville antique, aujourd'hui paysage lunaire cerné d'une vague muraille. Ici, jadis, faisaient étape les riches caravanes de la route de la soie. Tiens, les pilleurs sont à l'œuvre ce matin : deux bandes de gamins creusent de leur mieux. A l'étranger de passage, ils assurent n'avoir rien trouvé d'intéressant depuis longtemps. En vérité, la contrebande de statuettes, de porcelaine chinoise, de bijoux, d'armes anciennes et de pièces de monnaies de toutes sortes d'empires disparus est un flux continu, surtout vers le Pakistan.
A défaut de pouvoir empêcher le pillage, l'antiquaire a pris quelques photos. De sa poche, il sort une image: c'est la statue d'un prince enfourchant deux chamois, antérieure à la conquête d'Alexandre et aujourd'hui probablement pièce-maîtresse d'une collection privée occidentale.
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Voilà un étrange royaume, ayant pour capitale la bourgade de Shebergan, où l'on ne fait rien comme dans le reste de l'Afghanistan. La contrée est prospère, grâce à la contrebande avec l'Ouzbékistan voisin et à un gisement local de gaz. Ici, on frappe monnaie. Des contrefaçons maladroites qui valent la moitié des billets verdâtres du gouvernement.
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Ici, les lois sur les femmes et l'alcool sont libérales, pour suivre les inclinations du maître des lieux. Le général Rachid Dostom, c'est de lui qu'il s'agit, est partout. Sur le frontispice des casernes et de la prison où croupissent encore des centaines de Talibans, à l'entrée du stade de football, dans les maisons de thé, les bureaux, les échoppes. Partout, sauf dans son bureau.
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