Chaque semaine, le dessinateur jurassien Pitch Comment croque un fait d'actualité pour Heidi.news.

Le coup de semonce est venu de l’intérieur. Un tribunal italien a invalidé le 18 octobre 2024 la rétention des 12 premiers migrants envoyés dans les centres de rétention italiens en Albanie, en vertu d’un projet au cœur de la politique migratoire de Giorgia Meloni. L’accord, d’une durée de cinq ans, prévoyait que certaines demandes d’asile de migrants interceptés par les garde-côtes italiens en Méditerranée soient traitées en Albanie, hors Union européenne, L’objectif: faciliter les expulsions en cas de refus d’asile et dissuader en amont les candidats à l’immigration illégale.

En droit italien, la démarche ne peut concerner que les hommes adultes en bonne santé et venant de pays sûrs. C’est sur ce dernier point que les juges de Rome ont trouvé à redire, estimant que le Bangladesh et l’Egypte, dont étaient originaires les 12 premiers migrants concernés, ne pouvaient être considérés comme sûrs. Ils s’appuient pour cela sur un arrêt de la Cour de justice européenne qui prévoit qu’un pays n’est «sûr» — pas de persécution, ni de discrimination, ni de mauvais traitements — que s’il l’est sur l’ensemble de son territoire et pour tous les individus.

Les politiciens et les juges

C’est un camouflet pour le gouvernement ultra-conservateur de Giorgia Meloni, qui entend faire de l’accord Rome-Tirana un modèle de politique migratoire au sein de l’UE. La Commission européenne, et plusieurs pays membres, sont intéressés par l’externalisation des demandes d’asile à des pays tiers. La Première ministre italienne a réagi au jugement en promettant de «surmonter cet obstacle», et trois jours plus tard un décret ministériel, à la portée juridique incertaine, venait établir une liste réglementaire de pays sûrs.

Le bras de fer entre l’autorité politique et l’institution judiciaire ne fait que commencer. Un phénomène qui est loin de ne concerner que l’Italie: il est courant que le durcissement des politiques migratoires en Europe se heurte à l’état du droit. En France, le nouveau ministre de l’Intérieur très droitier Bruno Retailleau avait fait polémique début octobre en estimant que l’Etat de droit n’était «ni intangible, ni sacré», avant de préciser qu’il entendait par là qu’il serait nécessaire de «déplacer le curseur» du droit actuel, prenant comme points de comparaison la lutte contre le terrorisme et le Covid-19.