Où exactement est née la grande chanteuse? Deux lieux sont engagés dans une lutte mémorielle, San Carlos et San Fabián d’Alico, dans la province pauvre de Ñuble au Chili. Dans cette région miséreuse, l'enjeu mémoriel se double d'une perspective plus prosaïque: apporter des perspectives de développement.

J’ai le cerveau imbibé de Carménère, ce cépage rouge d'origine bordelaise retrouvé par hasard dans un vignoble de ce nouveau monde et devenu la star chilienne. Cela fait 30 ans que la Française Alexandra Marnier Lapostolle, héritière de la maison Grand Marnier, projetait de créer ce vin d'exception dans son domaine Clos Apalta, estampillé Relais & Châteaux. Une étape sur la route du sud qu’il aurait été dommage de manquer.

Je me rafraîchis les idées avec une randonnée équestre au milieu des vignobles de la verte vallée de Colchagua et je pars vers les terres d’origine de Violeta Parra, au centre-est du pays. J’ignore où je vais dormir ce soir. J’embarque à la gare routière de San Fernando pour un bus à destination de San Carlos, une bourgade près de Chillán. Il descend la Panaméricaine, appelée ici la Route 5, qui sert de colonne vertébrale au pays, de Arica à la frontière au nord avec le Pérou, jusqu’à Puerto Montt. L’autocar s’apparente à un duplex mobile, les sièges s’inclinent comme des lits, un luxe pour ces trois heures de voyage.

Ce qui est sûr, c’est qu’elle était pauvre

L’arrivée à San Carlos sera brutale: l’assistant du chauffeur a tout juste le temps de m’annoncer la halte que le bus est déjà reparti à tombeau ouvert vers la Patagonie, me laissant au bord d’une artère à six voies. Dans son patois local, un retraité m’indique le chemin du centre-ville à 2 km. On est dimanche, dans une zone industrielle provinciale et poussiéreuse. L’herbe est jaunie par l’été qui se termine, la silhouette d’un passant promenant son chien se reflète au loin sur le bitume brûlant. Après quelques minutes, une voiture s’arrête. Le monsieur âgé est conduit par son fils: «Monte, niña!» Ils me laissent sur la place des Armes où j’attrape auprès d’un vendeur ambulant quelques churros dégoulinant de manjar (une confiture de lait) avant de rejoindre la prétendue maison de Violeta Parra.

Un journaliste de Santiago m’avait mis en contact avec deux personnes basées à San Carlos et San Fabián d’Alico, dans cette province de Ñuble. Ces Capulets et Montaigus chiliens se battent depuis une quinzaine d’années pour s’attribuer le lieu de naissance de Violeta Parra en 1917. Ce qui est sûr, c’est que notre chanteuse a trimballé ses haillons dans les champs de cette contrée vallonnée, une zone limitrophe à celle du Biobío. Son père enseigne la musique dans des écoles primaires et se fait renvoyer – comme un grand nombre de ses pairs – pour avoir osé demander une hausse de salaire. Un mauvais calcul face au dictateur militaire Carlos Ibañez del Campo, élu en 1927. Ce conservateur a pour but de détricoter les aides sociales apportées par son prédécesseur Arturo Alessandri.

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A la mort de son père qui sombre par désespoir dans l’alcool, Viola (comme on la surnomme parfois) maltraite les cordes de sa guitare contre quelques sous glanés dans la rue et dans les trains avec ses frères et sœurs, qui reprennent ses vers en chœur. Neuf gamins que la veuve, une couturière aux doigts endoloris, tente de nourrir. Violeta s’extirpe de cette pauvreté et rejoint son frère aîné parti étudier à Santiago. Nicanor Parra, qui deviendra quelques années plus tard le plus célèbre «antipoète» du pays (expression qu’il a inventée pour s'opposer aux canons traditionnels de la poésie), a obtenu un poste dans l’enseignement. Il veut que sa cadette étudie. Elle préfère chanter. Avec sa sœur Hilda, une bigleuse sympathique, elle crée un duo qui aura un certain succès. Devenue mère d’Isabel et Ángel, Violeta se lasse de chanter des airs espagnols et cherche un sens à sa vie. «Et notre folklore, alors?», lui souffle son frère en 1953.

Barbecue interrompu

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