«L'Europe est un berceau vide où il n'y a pas d'enfant», a un jour écrit Marie-France Garaud, l’éminence grise de la droite française. Nous en avons trouvé au moins trois: un Italien, un Français et une Roumaine, les fondateurs à peine trentenaires du Grand Continent. En cinq ans et quelques crises, ils sont parvenus à créer une revue intellectuelle de référence, en France et bientôt en Europe. Rencontre au cœur de Paris.

Le Grand Continent est un mystère. En quelques années, ses fondateurs sont parvenus à lancer une revue en ligne, lui assurer un succès d’estime et d’audience, et faire de l’Europe un sujet «sexy». Dans le TGV qui m’emmène à eux, en ce mois de mai 2024, je m’interroge: comment trois étudiants même pas trentenaires ont-ils réussi là où 95% des professionnels des médias échouent? Quel est leur secret: aptitudes hors norme, coup de chance, connexions politiques, subventions massives?... Pour le savoir, direction le quartier latin, à Paris.

En m’accueillant au 91 boulevard Saint-Germain, Gilles Gressani, qui à 32 ans ferait presque figure de patriarche, me gratifie d’un cours d’histoire improvisé. Un an plus tôt, la rédaction s’est installée au 3e étage d’un immeuble élégant constellé de bow-windows, au cœur du quartier étudiant de la capitale. La bâtisse hébergeait jadis l’éditeur pédagogique Magnard, à qui l’on doit l’invention du cahier de vacances. Mais la librairie du rez-de-chaussée a été remplacée par un coffee shop, et sa devanture en fer forgé affiche désormais un incongru «Sciences — Starbucks Coffee — Médecine».

![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXe3Y-_e0Vq3Qghaa58tkiS8PB3bY3Kk-zLcdf9-4X4D48p3fLNJjui7tTpDj833dwTWuKbGUxQ53pwpBhu2T7lqYQySgz6Qbx_ZIs5gBT5mMrF4Cs4dFrzs2TlRnDjddMVVwSOUMiRJ0CcAsZ4-bNih9G8y?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA "Le café Starbucks Odéon, boulevard Saint-Germain à Paris, où se tenait auparavant la librairie Magnard.") *«On est les premiers à rendre au bâtiment son activité historique»*, se félicite le directeur du *Grand Continent* en me narrant l’anecdote. Seul un léger accent trahit l’origine italienne de ce fils d’une enseignante d’art et d’un haut-fonctionnaire de la Vallée d’Aoste, énergique et volubile. A l’évidence, il ne détesterait pas revenir à l’ère où les livres, plutôt que les Frappuccinos, avaient pignon sur rue. On pourrait même dire qu’il y travaille, avec ses deux compagnons de route: Mathéo Malik, 29 ans, originaire de Toulouse, et Ramona Bloj, 30 ans, de Roumanie. Dans la rédaction, où règne une ambiance studieuse, les quelques salariés ne sont pas plus âgés. Pendant deux heures et demie, les fondateurs acceptent de délaisser leurs ordinateurs et leurs téléphones – une gageure, chez ces bourreaux de travail un peu *control freak* *–* pour m’expliquer de quoi leur média est le nom. ## Dans les cafés de Paris *Le Grand Continent* descend en droite ligne des grandes revues d’idées du siècle passé, d’*Esprit* à la *Revue des deux mondes*, en passant par *Le Débat*, la revue de l’historien Pierre Nora et du philosophe Marcel Gauchet, sacrifiée en 2020 sur le constat amer [d’une crétinisation générale des esprits](https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2020/09/20/fin-du-debat-retour-du-combat_6052963_3236.html). On décèle chez les trois fondateurs le refus d’un tel constat d’échec, et la volonté d’incarner à leur tour ce type d’ambition intellectuelle. *«Le Débat est mort, vive le débat»*, résume le sémillant Valdôtain. Rembobinons. Nous sommes en 2017, le Brexit vient d’être voté et Gilles Gressani rentre d’un séjour d’études à l’Université Columbia, à New York. Dans cette Amérique où Trump commence à battre campagne, l’étudiant en sciences politiques a compris qu’il avait «*plus de choses en commun avec un Danois ou un Polonais qu’avec un Américain»*, relate-t-il, tout en s’excusant de la *«confondante banalité»* du propos. Avec deux condisciples de l’Ecole normale supérieure, Mathéo Malik et Pierre Ramond, il s’attelle à donner corps à cette intuition. ![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXfk-IavOA3ocGNFzELvmnq1JNEsBTGs3ZmVjotxMks9Uuq_dHkvQhTQ_jfZsXxcsuJX-07y9xTdw7x-sQqEVJfVuoaisNVamOkPjPJ-CH2Jr76d3Z6U9y-6fNfVu855Tm4JZ0TOKyx24J_pE2-SAjkBWH8P?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA "Gilles Gressani, président du Groupe d’études géopolitiques, est cofondateur et directeur du Grand Continent. | YP, Heidi.news") Les étudiants fondent le Groupe d’études géopolitiques, un *think tank* chargé de penser le monde et les relations internationales à l’échelle de l’Europe. Et comme dans toute bonne histoire du Paris intello, les choses prennent forme dans un café, Le Rostand, face au jardin du Luxembourg. *«Avec un peu moins de fumée à l'intérieur et beaucoup plus d'objets connectés Apple, le cadre est assez proche de la mythologie des discussions intellectuelles animées du 20e siècle»*, commente Mathéo, dont le style affable mais austère contraste avec la faconde de son camarade. Mais comment parler d’Europe sans ce fumet d’ennui qui lui colle aux basques? *«L’intuition de fond, c’était de faire sortir l’Europe des affaires européennes»*, explique Gilles. On s’est habitués à voir l’Europe abordée par le prisme du marché et surtout du droit, poursuit-il, mais *«c’est un peu comme si on disait que la France se limitait au Conseil d’Etat!».* Eux veulent parler de sciences sociales, de géopolitique et de littérature; en un mot, rendre l’Europe savoureuse, en laissant de côté les salades de Bruxelles. ## Un gros PDF et des mardis soir Cela donne une première newsletter, la «Lettre du dimanche» du Groupe d’études géopolitiques de l’ENS, qui finira vite par paraître le samedi. Une proto-revue déjà très aboutie et dense en matière grise, sans web ni papier, qui paraît sous la forme d’un PDF de plusieurs dizaines de pages envoyé par courriel. *«Ca nous a valu très vite un petit groupe d’aficionados avec un effet bouche-à-oreille très fort*, *comme les gens qui ont découvert les Beatles dans les caves enfumées de Hambourg — toutes proportions gardées»,* décrit celui qui serait sans doute Paul McCartney. Les camarades tiennent aussi un séminaire tous les mardis à la rue d’Ulm, qui joue un rôle de catalyseur. C’est à cette occasion qu’ils rencontrent Ramona Bloj. La jeune femme, originaire d’une bourgade des Carpates où il neige de novembre à avril, a intégré Sciences Po Paris après une licence d’histoire à Bucarest. D’un abord timide, voire farouche, elle ne tarde pas à déployer *«sa redoutable efficacité»* au service de l’aventure, dixit Gilles, qui confie pour sa part avoir découvert Excel sur le tard. Au printemps 2018, ils convient l’historien Patrick Boucheron (qui deviendra un compagnon de route), l’économiste Thomas Piketty, l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco, les philosophes Myriam Revault d'Allonnes et Toni Negri à venir exposer l’idée qu’ils se font de l’Europe. Le cycle de conférences, retransmis dans une quinzaine d’universités du vieux continent et d’au-delà, s’avère un franc succès. Les Mardis du Grand Continent deviennent une institution dans l’institution et, fin 2018, la newsletter gratuite du GEG compte 20'000 inscrits. *![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXcoL9CFMGYEFHmd9dVWVFcQ0TUhHtqD8tgbEqeD89j5MFJCUayEXrQO2h2nSG3IkF0sswyxKr1gXR_lTJh6b9q2WJBTVvfjJ-ne8KKYdBm3vehW1VJ1eUH212zwYXElDOwgqUFuBrBiY3tEBmhZJHaUMZPi?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA "Ramona Bloj est vice-présidente du Groupe d’études géopolitiques, cofondatrice du Grand Continent et rédactrice en chef de la revue GREEN. | YP, Heidi.news")* Dans les bars et les restos du quartier latin, les trois mousquetaires charbonnent comme jamais – à ce rythme de khâgneux qui ne les a jamais quittés. La revue débarque sur le web en avril 2019, sur un site épuré et moderne, codé et hébergé à Turin. Tout est prêt pour le décollage. ## Passe-frontières A peine neuf mois après le lancement, un gros virus hérissé de spicules débarque sur le monde. Comme dans d’autres jeunes médias – *Heidi.news* en sait quelque chose –, la pandémie donne aux timoniers du *Grand Continent* l’occasion de se distinguer. Ils s’en emparent en couvrant les déboires sanitaires du nord de l’Italie, premiers pays d’Europe confronté au coronavirus. *«Pendant le Covid, l’actu française, c’était l’actu italienne avec sept jours de retard»,* se remémore Gilles. *«Pendant une semaine, on a eu l’impression d’être maîtres du temps, tout ce qu’on publiait devenait viral, on a dû changer de serveur. Par exemple, on a publié [un entretien d’un urgentiste de l’hôpital de Bergame](https://legrandcontinent.eu/fr/2020/03/10/coronavirus-un-temoignage-du-front/) à l’époque où le mot d’ordre en France était d’aller au théâtre... Ca nous a montré que nos espaces médiatiques restaient totalement déconnectés, alors qu’on n’est pas la Corée du Nord!»* La revue publie aussi les premières cartes des contaminations à l’échelle des grandes régions d’Europe, sans s’arrêter aux frontières nationales. *«Ca paraît peu de choses une carte, mais ça a servi à penser des formes de tri et d’échange transfrontalier de malades. La Commission européenne nous a contactés, on a commencé à travailler avec plusieurs pays. Ca a permis de sauver des vies»*, veut croire Gilles Gressani. ## «Cette fois, ils nous citent» Le succès est, lui aussi, exponentiel. En 2020, un an après le lancement officiel de la revue, le *Grand Continent* décroche — sans même l’avoir sollicité — [un long entretien exclusif avec Emmanuel Macron](https://legrandcontinent.eu/fr/2020/11/16/macron/), qui participe à les faire connaître, y compris sur la scène politique européenne puisqu’elle est publiée en anglais. En 2022, le trio est même [invité sur Quotidien](https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/invites-ramona-bloj-gilles-gressani-et-matheo-malik-co-fondateurs-de-la-revue-le-grand-continent-10562131.html), l’émission-phare de Yann Barthès sur TMC, plus habituée à accueillir des acteurs à succès que des normaliens. Quelques semaines plus tôt, en février 2022, les chars russes ont traversé la frontière en direction de Kiev. S’est alors ouverte une nouvelle séquence favorable au *Grand Continent*, très armé en géopolitique. Leur carte de l’offensive russe en Ukraine est reprise par tous les grands journaux, d’*El Pais* au *Monde* en passant par le *New York Times* – *«et cette fois, en nous citant!»*, glisse Gilles. Ils confient au colonel-blogueur Michel Goya, éminent spécialiste d’histoire et de stratégie militaire, le soin de chroniquer les premiers mouvements de la guerre. ![Une LGC 12 sept. 2024.jpg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/3930585e-2d90-4de9-b73e-fab6151f35bf/large "La une du site du Grand Continent, le 12 septembre 2024.") Comme souvent avec *le Grand Continent*, les analyses sont approfondies, les intervenants de qualité, les synthèses impeccables. Dans ce monde en déglingue, les crises ne manquent pas et sont autant d’occasions pour la revue de faire ses preuves. Suivront Israël, puis l’Iran. A chaque fois, l’enjeu consiste à trouver le plus vite possible les meilleurs experts, ce que *le Grand Continent* s’emploie à faire via un réseau de quelque 2500 *«collaborateurs»*, très bien insérés dans le monde académique. La revue se permettra aussi des pas de côté surprenants, en offrant ses pages [à des penseurs chinois affiliés au régime](https://legrandcontinent.eu/fr/themes/doctrines-de-xi/), en publiant des [discours commentés de Poutine](https://legrandcontinent.eu/fr/themes/politique/doctrines-de-la-russie-de-poutine/) ou du président hongrois [Viktor Orban](https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/19/la-paix-facon-viktor-orban-son-plan-en-10-points/). Autant de fenêtres utiles sur des espaces où les valeurs occidentales n’ont plus vraiment cours. Parmi les coups marquants, et dont les fondateurs sont particulièrement fiers, figure la publication en 2022 du [dernier texte](https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/23/le-sol-europeen-est-il-en-train-de-changer-sous-nos-pieds-x/) de l’illustre philosophe Bruno Latour, peu avant sa mort. ## Dans ta face, Churchill Aujourd’hui, la revue étudiante est devenue une startup d’une petite dizaine de salariés, elle compte 25’000 abonnés et le site web enregistre 20 millions de visites par an. Ses patrons restent fidèles à leurs deux principes des débuts: pas de réunion, pas d’email. Tout se passe via Slack ou WhatsApp, tout est fait sur le champ, vite et bien, et les brainstormings ont lieu autour d’une bière, souvent le mardi soir après la conférence, à la brasserie Danton du bas de la rue, face à la statue du «sauveur» de la Révolution française. ![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXejREdE46ni9KJONnh-UCIAjVGO7tjkL8hFojgAOnuZMrQe_ZbcyCL369HRC1Be1VEfUpZHciKB0Q6t8MuppkOFUYnc6gKq0K4LAwHEzGgbYm_AJ0GS0G051L8uZewWMzzUEXwZh5ZwGm29xA2X3KaElWm3?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA "Mathéo Malik, 29 ans, est cofondateur et rédacteur en chef du Grand Continent. | YP, Heidi.news") Ces précisions pourraient paraître gratuites; elles ne le sont pas. Venus aux relations internationales par la philosophie (Gilles) ou l’histoire (Mathéo, Ramona), le trio vit dans un monde surchargé de références culturelles, et se projette sur le temps long. Quand ils se baptisent *Grand Continent*, c’est pour faire mentir le poète [Paul Valéry](http://evene.lefigaro.fr/citation/europe-deviendra-realite-dire-petit-cap-continent-asiatique-63091.php) qui voit dans l’Europe un *«petit cap de l’Asie»,* et répondre à [Churchill](https://lelephant-larevue.fr/thematiques/de-gaulle-rencontre-churchill/) quand il jure à De Gaulle qu’il préférera toujours le *«grand large»* au vieux continent. Du reste, le nom sonne bien, ne contient pas le mot-repoussoir d’Europe, et évoque *«l’échelle pertinente»* (leur slogan) d’analyse des enjeux, poursuit Gilles. Le nom cache encore d’autres références, suggère-t-il, mais les trois associés n’en diront pas plus. ## L’abbaye de Thélème à Paris On ne peut pas comprendre le succès du *Grand Continent* sans se pencher sur une de ses singularités: sa connexion au monde académique. Outre la qualité intrinsèque de ses fondateurs, la revue bénéficie du prestige de l’Ecole normale supérieure, qui héberge le Groupe d’études géopolitiques et accueille les conférences du mardi. Il faut se figurer ce que représente cette institution, au sommet du système des grandes écoles à la française, qu’on pourra au choix qualifier de méritocratique ou de brutalement élitiste. La vieille école de la rue d’Ulm, avec sa cour arborée et son bassin aux poissons rouges, est une abbaye de Thélème au cœur de Paris. Synonyme d’excellence académique, elle ouvre bien des portes et attire les plumes bien disposées, ce dont les fondateurs du *Grand Continent*, même s’ils revendiquent leur autonomie vis-à-vis de l’*alma mater*, ont su tirer profit avec brio. ![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXf1Lf9BZjSKz-n5Uc_xWnKBVSKOwTvxDdUbaua4LyAljVD7_eMst0YWFhz-azgHJaUOE4Szdb9Fmio8flZmaWWWe-ya02VpCPI9qbmnAWnfQ2YlVQ85BKYdsElst9PfalhoT4iav2gpIn99UYLSSIBe6hOP?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA "L’Ecole normale supérieure de Paris, au 45 rue d’Ulm, et sa cour aux Ernest, du nom des poissons rouges amenés par l’ancien directeur Ernest Bisot. | DR") Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de fréquenter, un peu par effraction, l’école et ses élèves. Nulle part ailleurs, je n’ai croisé de jeunes gens de 20 ans qui parlent le grec ancien ou lisent Kant dans le texte «pour le plaisir». On entre à Normale par les maths ou les lettres, via un concours d’une difficulté effroyable, avant d’y étudier précisément ce qu’on souhaite. Je me souviens d’un élève chinois qui faisait de la logique formelle et du turc ottoman en attendant de partir répertorier une langue tibétaine inconnue… Le soir même, à la conférence du mardi, je croiserai le philosophe Frédéric Worms, vice-président de l’école, et l’éditorialiste du *Monde* Alain Frachon, dans une salle bondée. *«Avant, il fallait nous présenter, maintenant les gens nous connaissent et il est très rare d’avoir des refus de conférenciers»*, explique Pierre Ramond, responsable des événements du mardi au *Grand Continent*, par ailleurs doctorant en relations internationales à l’ENS. *«Avant, il fallait vraiment chercher le public, et maintenant il est toujours là, fidèle.»* ## Un bateau qui avance bien Comment un tel projet se maintient-il à flot? S’ils sont peu diserts sur les chiffres, soucieux peut-être de l’image qu’ils renvoient auprès d’un monde académique sourcilleux sur ces questions, les fondateurs estiment que les deux tiers de leurs revenus proviennent des lecteurs, qu’ils soient individuels ou institutionnels. *«Les abonnements permettent de couvrir tous les coûts structurels, comme les salaires et le loyer de ce bureau»*, indique Ramona Bloj. Le reste est couvert par des activités de B2B (séminaires particuliers, masterclass, etc.) vis-à-vis de clients institutionnels, à quoi s’ajoutent quelques dons. Pas de publicité sur le site, et aucune intention d’en ajouter. *«Quand on se réveille le matin, on ne se dit pas qu’on est sur un paquebot qui avance tout seul, on doit construire le bateau tous les jours*», assure Mathéo Malik. On sent, à la vérité, que parler d’argent ne les transporte guère. Leur âme est ailleurs. ![](https://lh7-rt.googleusercontent.com/docsz/AD_4nXdICtL8nGPCkpoxu_LM03IDSGrR8DdLBapJtbUTAVxmQvmc36u3ZytBu1rHJXDJb9m6me9cpR1sFic3c2Q2mSx-TOFGR3bR-Fs4ZRJnrJS1ylrEe4QXNwhTijbhTZiZ0d1y2Utzgx-uKVruPIYsY0yLNBnI?key=iXIgIGXRu0qUnNc7P0tebA) Ce n’est pas faute d’attirer les convoitises: plusieurs groupes de médias et même des milliardaires – *«un Américain, un autre pas américain…»*  –  auraient manifesté des velléités de rachat. Pour l’heure, les fondateurs tiennent absolument à conserver leur indépendance, tout en réfléchissant à lever des fonds pour lancer une version anglophone qu’ils envisagent forcément ambitieuse. Il s’agirait moins de chasser sur les terres de *Foreign Affairs*, la revue de référence en géopolitique, que d’être vu comme *«le téléphone de l’Europe»* à Washington. ## Vers un très grand continent En attendant, la revue est aussi écrite en italien et en espagnol, avec le polonais et l’allemand dans le viseur… Et ce n’est là qu’un projet parmi beaucoup. *«On est à 5% de ce qu’on voudrait faire»*, assure son directeur. En 2021, le GEG lance la revue GREEN (Géopolitique, réseaux, énergie, environnement, nature), qui paraît une à deux fois par an et dont Ramona Bloj est rédactrice en chef. Le pilier institutionnel du *Grand Continent*, matérialisé par le Groupe d’études géopolitiques, pourrait quant à lui se développer en un véritable centre de recherche. Et pourquoi pas un prix littéraire, tant qu’on y est? Depuis 2021, la revue remet tous les hivers [un prix Grand Continent](https://legrandcontinent.eu/fr/2021/12/24/prix-grand-continent-video/) au cœur du Mont Blanc, entre l’Italie, la Suisse et la France, avec l’idée d’en faire un Goncourt européen. Une façon, encore et toujours, de tisser un espace culturel européen commun. *«On connaissait mieux la littérature polonaise ou roumaine quand il y avait le rideau de fer»*, déplore Ramona. Avec un tel parcours, maintenant qu’elle peut se targuer d’avoir une réelle influence dans les mondes académique et politique, en France voire en Europe, et qu’elle en vient, hommage suprême, à essuyer des cyberattaques russes sur [des articles sensibles](https://legrandcontinent.eu/fr/2022/02/27/pourquoi-poutine-a-deja-perdu-la-guerre/), que souhaiter de plus à la revue? ## Ce lieu sexy qui n’est pas Malibu Par pur mauvais esprit, je demande si dans une telle *success story*, il n’y aurait pas quelques accidents de publication à rapporter. *«Il y a bien [ce poème de Pamela Anderson](https://legrandcontinent.eu/fr/2020/01/17/ce-lieu-sexy-quon-appelle-leurope/)… Disons que c’était pour le geste»,* avance Gilles, pas le genre s’étouffer de regrets, après un moment de réflexion. *«Je ne sais pas si on le republierait»*, souffle son camarade en riant. Extrait dudit poème, écrit en soutien au parti politique de l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis: > *Si vous pensez que seule une idiote* > > *peut jouer une blonde stupide –* > > *vous m’avez peut-être rangée dans la catégorie «pneumatique» –* > > *mystérieuse, incomprise…* > > *Ah.* Gageons que la qualité de la muse l’a emporté sur celle des vers. Reste que le titre du poème a des accents irrésistibles: *Ce lieu sexy qu’on appelle l’Europe*.