Dans la course aux médicaments anti-obésité, le laboratoire danois Novo Nordisk fait figure de grand pionnier. Mais Eli Lilly a opéré dans les années 2010 un formidable retour, au point de disposer aujourd’hui, avec le Zepbound, du médicament le plus efficace dans cette indication. C’est l’histoire d’un Poulidor qui, à force de pédaler, finit par gagner le tour. Pour l'heure, on débute en queue de peloton.

A l’épisode précédent, nous avions évoqué comment les cadres du laboratoire danois Novo Nordisk, qui croyaient avoir pris une avance impossible à rattraper dans leurs recherches sur les analogues de GLP-1, ont senti la foudre leur tomber sur la tête à Berlin en 2018. C’est là, lors de la conférence annuelle de l’Association européenne de la recherche sur le diabète (EASD), que le laboratoire américain a dévoilé sa propre molécule, le tirzepatide, le futur Mounjaro / Zepbound.

Certes, il ne s’agissait encore que de traiter le diabète de type 2, mais cette nouvelle molécule montrait, dans des essais cliniques de phase 2, un immense potentiel pour la perte de poids: -15% en 6 mois et demi. Dans la salle de conférence du parc des expositions de Berlin, chacun devinait qu’avec une durée d’administration plus longue, comme celle expérimentée lors des essais de phase 3 alors en cours, ce tirzepatide pourrait devenir l’amincissant le plus efficace du marché.

Quatre fois Novartis ou Roche

Avant même que les ventes des médicaments basés sur le tirzepatide comme le Mounjaro pour le diabète et le Zepbound pour l’obésité ne se concrétisent, les investisseurs ont porté Eli Lilly aux nues. Septième entreprise pharmaceutique mondiale avec une valorisation de 120 milliards de dollars en 2018, l’entreprise fondée en 1876 à Indianapolis par le colonel nordiste Eli Lilly est, après une hausse de 700% en six ans, la première de son secteur. Et aussi la dixième capitalisation boursière toutes catégories confondues.

A plus de 850 milliards de dollars, Lilly se classe encore derrière les géants du numérique comme Microsoft ou Apple. Mais elle pèse déjà quatre fois plus que ses concurrents Novartis ou Roche et le double du groupe pétrolier ExxonMobile. A l’été 2024, elle est loin devant la plus grande banque du monde (Bank of America, 320 milliards), le géant de l’alimentation (Nestlé, 270 milliards) ou le numéro un de l’automobile (Toyota 277 milliards).

Comment Lilly en est arrivé là? C’était pourtant loin d’être gagné au départ.

La très redoutée «année X»

Dans les années 1990, l’intérêt du géant américain pour les analogues du GLP-1 est loin d’être aussi vivace que celui de Novo Nordisk. «L’insuline pour traiter le diabète n’était plus un produit aussi important pour Lilly que ça avait pu être le cas historiquement», résume le biochimiste Richard DiMarchi, qui dirigeait la recherche sur cette maladie chez Lilly à cette époque.

Ce qui préoccupe le top management du groupe dans ces années-là, c’est surtout l’expiration de ses droits exclusifs sur le Prozac en 2003. Depuis son lancement en 1988, les ventes de premier antidépresseur ISRS représentent 21 milliards de dollars cumulés, soit le tiers du chiffre d'affaires de l’entreprise. La justice donne raison au génériqueur Barr Laboratories, engagé dans un procès contre Eli Lilly, pour invalider le brevet sur le Prozac en août 2001, deux ans plus tôt que prévu.

Si l’entreprise dispose bien sûr d’autres molécules dans son portefeuille, comme l’anti-psychotique Zyprexa approuvé en 1996, la fin du brevet du Prozac est considéré comme si cruciale par le management qu’elle est désignée en interne un nom de code: l’année X.

Eli Lilly s’y prépare, bien sûr. En 2000, l’entreprise augmente son budget de R&D de 13% pour le porter à 2 milliards de dollars (9 milliards en 2023). L’investissement représente 20% de son chiffre d’affaires, soit nettement plus que la moyenne (13%) de l’industrie à l’époque. Toutefois, les efforts d’Eli Lilly portent essentiellement sur la recherche de médicaments pour le cerveau. L’entreprise investit massivement pour trouver un remède à la maladie d’Alzheimer. En 1995, elle est même allée jusqu’à racheter la maison d’Alois Alzheimer en Allemagne dans le seul but d’affirmer cette priorité symbolique... Sans résultat probant, jusqu’à très récemment.

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