Les recherches sur Ozempic et consorts ont progressivement montré que leur utilité ne se limitait pas au diabète, et qu'ils sont une aide précieuse pour perdre du poids. Mais dans l'industrie pharmaceutique, le domaine des coupe-faims a jusque-là été un cimetière, pour les molécules et parfois — hélas — pour les patients. On ne construit pas facilement sur un champ de ruines encore fumantes...

«Vous savez ce que c’est, les munchies?» Posée brutalement dans un couloir du Forum Life Sciences CEO à Zurich en mars 2024, la question me désarçonne. Le nom de mon interlocuteur, un Québécois aussi bavard que captivant, figure sur son badge: François Ravenelle, CEO d’Inversago Pharma. Je bafouille.

Très bien, mais quel rapport avec le futur des médicaments contre l’obésité? Car c’est le thème de la table ronde dans laquelle François Ravenelle vient de s’exprimer.

«Au début des années 2000, Sanofi a eu l’idée de développer des molécules antagonistes de ces récepteurs CB-1 pour créer des coupe-faims efficaces», poursuit-il, avec son fort accent de la Belle Province. «Mais ça ne s’est pas bien passé. La molécule ne bloquait pas que la faim, mais aussi en quelque sorte la joie de vivre.»

Le pétard mouillé de Sanofi

Certains patients devenaient dépressifs, anxieux et entretenaient des idées suicidaires, m’explique-t-il, de sorte que le médicament, baptisé Acomplia, a dû être retiré en 2008, deux ans à peine après son lancement. Dans la foulée, Pfizer, Merck et Bristol-Myers Squibb ont immédiatement jeté leurs projets similaires à la poubelle.

François Ravenelle tente de faire revivre les coupe-faims ayant pour cible les récepteurs cannabinoïdes. | Inversago, courtoisie

Cet échec de Sanofi, pour cuisant qu’il soit, n’a rien d’unique. Il vient s’ajouter à une longue liste de revers, parfois dramatiques, dans la tentative de l’industrie pharmaceutique de créer des coupe-faims sûrs et efficaces. Certaines des entreprises du secteur y ont laissé leur peau. Voire celle de leurs patients.

Lorsque au début des années 2000, les chercheurs pensent avoir des données suggérant que les analogues de GLP-1 pourraient traiter l’obésité en plus du diabète, ils se heurtent donc à une armée de fantômes qui hantent le C Level, l’étage des managers de la pharma. Chez Eli Lilly, le fabricant du Zepbound (environ 20% de perte de poids en essai clinique), Richard DiMarchi, le biochimiste qui avait mis au point l’insuline recombinante à effet rapide Humalog, a remisé en 2002 un brevet sur l’utilisation de GLP-1 contre l’obésité. Chez Novo Nordisk, Lotte Knudsen, la chimiste à l’origine d’Ozempic, a déjà eu du mal à convaincre le géant de l’insuline du potentiel de GLP-1 pour traiter le diabète. Alors l’obésité…

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