La crise de la biodiversité est aussi importante que celle du climat. Mais il n’existe pas d’instrument pour financer la protection ou la restauration de la nature comparable aux crédits carbone. Les crédits biodiversité visent à combler ce vide, comme l’explique l’un des meilleurs experts mondiaux du domaine, Tim Coles, CEO de RePlanet.

Une diminution de 69% des espèces sauvages depuis 1970, selon le Living Planet Report. 2 millions d’espèces menacées (dont la moitié d’extinction et sur un total de 8 millions), selon la liste rouge de l’IUCN, l’Union internationale pour la conservation de la nature. Voilà la crise aiguë de la biodiversité résumée en deux chiffres.

Pour y faire face, 192 pays, dont la Suisse, ont adopté en 2022 à la 15e Conférence des parties (COP15) de la Convention sur la diversité biologique, le Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal. Il comporte 23 objectifs visant la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, la restauration de 30% des écosystèmes dégradés, la réduction de moitié de l’introduction d’espèces envahissantes et la réduction des subventions préjudiciables à la biodiversité. Le tout à l’horizon très proche de 2030.

**Le grand projet de *Heidi.news* cette année que vous pouvez soutenir:** [explorer le réensauvagement de la planète.](https://www.heidi.news/articles/reensauvagement-prets-a-renouer-avec-la-nature-dans-une-prochaine-exploration) Atteindre ces objectifs représente un formidable défi financier. Pour l’heure, seulement 16% des terres et 8% des mers sont considérées comme protégées. On estime la facture à au moins 200 milliards de dollars par an. L’argent public disponible n’étant pas suffisant, les crédits de biodiversité volontaires sont de plus en plus considérés comme un moyen de faire contribuer les privés aux objectifs de l’accord Kunming-Montréal. Ce dernier les stipule d’ailleurs dans son article 19 comme un moyen d’encourager l'investissement privé dans la protection et la restauration de la nature. A la seconde [conférence](https://bccconference.lincoln.ac.uk/) sur les solutions basées sur la nature organisée fin juillet par l’Université de Lincoln en Angleterre, ces crédits de biodiversité étaient pratiquement le seul sujet de conversation. Et l’occasion de mesurer les défis gigantesques de l’émergence de tels instruments. Les crédits de biodiversité sont en effet plus complexes que les crédits carbone, car il n'y a pas deux écosystèmes identiques. Le carbone a l’avantage de la mesure des émissions ou de leur réduction pour créer un crédit. La mesure, tant de l’impact que de la protection d’un écosystème, est plus difficile. En outre, les crédits biodiversité ne sont pas des offsets pour compenser la biodiversité perdue, mais des moyens d’investir dans des projets de protection ou de restauration de la biodiversité qui ont des perspectives de retour sur investissement à très long terme (cela prend du temps de restaurer) et peu élevés. Pour l’heure, les projets sont souvent petits et dispersés. Cofondée par la famille du philanthrope suisse André Hoffmann et présidé par le financier helvético-belge Louis de Montpellier, [RePlanet](https://www.replanet.org.uk/) s’est donné pour mission de combler ce vide en soutenant des grands projets de protection et de restauration à travers le monde, susceptibles de servir de base à des crédits biodiversité de haute qualité. A Lincoln, *Heidi.news* s’est assis avec le CEO de RePlanet, Tim Coles. Après 25 ans à la tête du réseau scientifique [Wallacea](https://www.opwall.com/the-wallacea-trust/), il a développé les méthodologies nécessaires aux crédits de biodiversité. ##### **Heidi.news: Il est beaucoup question des crédits de biodiversité, mais aussi des défis qu’ils rencontrent. Où en est concrètement le développement de ces instruments qui pourraient intéresser les entreprises?** **Tim Coles:** Le seul grand marché actuel est celui des crédits carbone volontaires, qui inclut en plus des unités quantifiées de gain pour la biodiversité. Par exemple, dans un investissement dans un projet de reforestation qui a une certaine valeur pour fixer la capture du carbone atmosphérique, on calcule aussi l’impact de cette forêt sur le gain pour la biodiversité. En d'autres termes, on fait déjà exactement ce que l’on ferait pour l'émission de crédits de biodiversité. Sauf qu’on n'émet pas le crédit. On s’arrête au stade de la vérification de l’impact sur la biodiversité. ##### **Pourquoi?** Les acheteurs de crédits carbone peuvent ainsi affirmer que le projet a également produit une augmentation, disons de 50%, de la biodiversité. Il existe actuellement un système appelé «Communauté climatique et biodiversité» que les projets peuvent utiliser lorsqu'ils sollicitent des crédits carbone. Cependant, il s'agit d'un exercice basé sur des cases à cocher et qui ne dit rien à l'acheteur sur le niveau de gain de biodiversité obtenu. Il serait préférable de quantifier le gain de biodiversité pour chaque projet carbone plutôt que de se contenter d'un processus de ce type. ##### **Pourquoi n’est-ce pas le cas?** Parce qu'à l'heure actuelle, les crédits de biodiversité n’ont pas de valeur. Il n’y a pas de prix sur un marché et donc personne pour investir dans un projet. La première étape consiste donc à obtenir un consensus sur ce qu’est une unité de biodiversité perdue ou gagnée. C'est le point crucial. Avec le climat, vous savez ce qu’est l'équivalent d’une tonne de CO2 qui n’est pas émise ou qui est séquestrée. C'est ce que nous devons faire pour la biodiversité. L'obtention de cette unité de valeur est l’étape la plus importante que nous devons franchir aujourd’hui. ##### **Vous parlez du marché volontaire du carbone. Celui-ci vient de connaître des difficultés importantes suite aux [révélations](https://www.heidi.news/climat/dans-la-jungle-les-credits-carbones-lavent-plus-vert) sur la piètre qualité de nombreux projets de compensation, en particulier forestiers et les risques de greenwashing. Pourquoi en irait-il autrement pour les crédits de biodiversité?** Tout le monde est nerveux à propos du marché du carbone. Mais nous constatons que les entreprises recherchent désormais des projets carbones de haute qualité. Elles sont prêtes à dépenser un peu plus pour éviter de se retrouver accusée de greenwashing dans la presse. Je ne suis donc pas pessimiste. Je pense que nous assistons à un grand changement sur ce marché. On s'éloigne des crédits bon marché pour aller vers des crédits plus chers, avec des projets beaucoup plus rigoureux. Je ne m'inquiète pas pour le marché carbone. Ce qui me préoccupe, c'est de faire démarrer celui de la biodiversité. Parce qu’avec le carbone, on peut restaurer une forêt qui capte beaucoup de CO2. Mais utiliser seulement le carbone séquestré ne fonctionne plus pour des habitats comme une prairie ou un récif corallien. Il faut des crédits de biodiversité pour cela. Je pense que le seul moyen de les faire démarrer, c’est de faire appel à des philanthropes. Ils financent déjà ce genre de projets. Pourquoi ne pas leur dire: mesurons votre impact, l’augmentation de la biodiversité produite par vos projets et tirons-en une certaine valeur, pour en faire un crédit et le vendre pour financer un nouveau projet? C’est la première étape dans le marché et la formation des prix pour les crédits biodiversité. ##### **Certes, mais qui va acheter ce crédit?** Cette unité de gain de biodiversité n'a pas besoin d'être échangée. Elle peut simplement être utilisée pour la comptabilité. Nous-mêmes investissons dans le développement de projets axés sur le carbone qui généreront aussi un gain d'environ 15 millions d'unités de biodiversité au cours des prochaines années. Nous ne vendons pas séparément ces unités de biodiversité, mais nous nous en servons pour augmenter le prix des crédits carbone, parce que les gains en termes de biodiversité sont un gage de leur haute qualité. De plus, les crédits biodiversité qui sauvent des espèces ou restaurent des habitats naturels sont plus attractifs pour les gens que l’idée, un peu abstraite, de puits de carbone. ##### **Ne serait-il pas plus simple de suivre la piste ouverte par le gouvernement britannique avec les Biodiversity Net Gains, c’est-à-dire de rendre obligatoire la compensation de l’impact sur la biodiversité d’un projet économique?** C’est effectivement intéressant, d’autant que la compensation n’est pas un pour un, mais un pour un plus 10%. La façon dont l’impact est quantifié est aussi très intelligente. Ils ont classé tous les types d’habitats du Royaume-Uni en fonction de leur valeur relative pour leur attribuer une note qui est aussi influencée par l’état de ces habitats. *In fine*, le développeur d’un projet sera payé pour compenser son impact sur le site en essayant d'obtenir le plus grand nombre possible d'habitats ayant un score élevé sur place. Mais avec les 10%, il devra quand même investir une partie ailleurs. Cela motive de nouveaux projets, par exemple sur des terres agricoles et ainsi une nouvelle possibilité de revenus pour les agriculteurs. Mais ça ne suffira pas à protéger ou restaurer ce qui doit l’être. Au mieux, on évoque 2000 hectares par an de surfaces restaurées. C’est pour cela que les crédits de biodiversité sont complémentaires et importants.