Entre la découverte de GLP-1 et les premiers médicaments dérivés contre le diabète et l’obésité, au tournant des années 2010, il s’écoule 20 à 25 ans. Pourquoi un tel délai, inhabituel même dans ce secteur abonné aux aléas? Si la pharma a, comme souvent, manqué de vision, les premiers essais chez l’homme font aussi apparaître des défis d’apparence insurmontable. Récit d’une naissance tortueuse.

Il y a des délais qui interrogent. Ainsi en va-t-il du quart de siècle qui s’est écoulé entre la découverte de GLP-1, en 1987, et les premiers médicaments dérivés: le Victoza de Novo Nordisk, en 2009, contre le diabète, et le Saxenda, sa déclinaison contre l’obésité, commercialisé cinq ans plus tard par le même laboratoire danois. C’est là, au tournant des années 2010, que s’ouvrait le bal doré de la minceur sur ordonnance, ensuite incarné par le succès incroyable de l’Ozempic et consorts. Comment expliquer un tel retard à l’allumage?

Avec la fin de la protection des brevets sur leurs grandes molécules chimiques découvertes 20 plus tôt, les grandes sociétés pharmaceutiques sont très occupées, dans les années 1990, à réaliser de grandes fusions et acquisitions. Cette valse des milliards débute avec Bristol-Myers et Squibb, qui fusionnent en 1989 pour donner naissance à BMS. D’autres géants naîtront dans la foulée, comme Novartis (né de la fusion de Ciba-Geigy et Sandoz en 1996), AstraZeneca (1999), Glaxo-SmithKline (2000) et Sanofi (qui absorbe Aventis en 2004).

La découverte en 1987 de la forme active GLP-1, hormone intestinale susceptible d’être utilisée contre le diabète, est aussi très loin des préoccupations principales des géants pharmaceutiques. Les peptides sont considérés comme un marché de niche n’ayant jamais produit le moindre blockbuster, c’est-à-dire de médicament rapportant plus de 1 milliard de dollars par an. Evaluer une molécule candidate incertaine telle que GLP-1 est alors le cadet de leurs soucis.

La conférence de presse annonçant la fusion de Ciba et Sandoz pour donner naissance à Novartis en 1996. | Keystone / Michael Kupferschmidt

Pfizer avait bien acheté une licence du brevet de Joël Habener, l’éminent endocrinologue de Harvard ayant joué un rôle clé dans la découverte de GLP-1, afin de tenter d’émuler l’effet de l’hormone en ciblant par de «petites molécules» issues de la chimie – bien plus faciles à produire que des peptides. Mais ces petites molécules ne parvenaient pas à se fixer efficacement aux récepteurs du GLP-1, et le groupe américain avait fini par jeter l’éponge.

Du côté d’Eli Lilly, même si l’insuline était encore une source importante de revenus, le diabète n’était déjà plus une priorité. Son patron de la recherche, August Watanabe, était cardiologue et son numéro deux, Steve Paul, psychiatre. Les blockbusters de l’entreprise d’Indianapolis venaient de molécules chimiques pour traiter le système nerveux comme le Prozac (environ 2,5 milliards de dollars par an) pour la dépression ou le Zyprexa (4 milliards par an) pour la schizophrénie.

Seul le petit laboratoire danois Novo Nordisk, qui s’apprête à ravir à Lilly le leadership mondial sur la vente d’insuline aux personnes diabétiques, commence à s’intéresser à GLP-1. Mais son budget de recherche, moitié moins élevé en pourcentage que celui de ses concurrents, ne lui permettait pas de se disperser. Et puis, pourquoi développer une nouvelle molécule qui pourrait mettre en danger cette vache à lait qu’était l’insuline? Ce serait se tirer une balle dans le pied.

Ces stupides hormones

«La pharma avait toujours un œil à moitié ouvert à cause de la sécrétion d’insuline (causée par GLP-1, ndlr.)», observe Jens Holst dans son bureau de l’Université de Copenhague. «Mais elle n’était pas vraiment captivée. Une des raisons à cela, c’est qu’on avait déjà identifié pas mal d’autres peptides stimulant l’insuline (9 au total, ndlr.) comme le GIP.  Mais ces peptides ne donnaient rien chez les patients diabétiques. L’idée était qu’avec le diabète de type 2, les cellules bêta sont malades et ne répondent plus au glucose dans le sang. Et que donc, naturellement, elles ne pouvaient pas répondre à ces stupides hormones intestinales.»

Voir plus