Cher lecteur, l'histoire que je m’apprête à vous raconter ressemble à un roman fantastique ou une dystopie. Hélas, c'est la pure vérité. Je vais vous parler de Meduza, le principal média indépendant de Russie, à l'ère de la terreur et de la guerre de Poutine. De journalistes qui sont partis en exil pour continuer à relater la vérité. Et de lecteurs qui risquent la prison pour quelques nouvelles vraies.

Mon interlocutrice Elena vit à Moscou et travaille comme comptable. Elle a accepté de me parler sous couvert d'anonymat, comme tous mes autres interlocuteurs russes. Tels deux agents de la Résistance en France occupée, nous prenons rendez-vous dans un endroit à l’abri des regards. Sauf qu'il ne s'agit plus d'une ruelle sombre, mais d'un lien vidéo sur Zoom.

«Regardez ça!»  Elena me montre l'écran de son téléphone à la webcam. «Vous voyez?»  Je ne sais pas quoi regarder: son téléphone ressemble à des millions d'autres dans le monde, avec une photo de ses enfants en fond d’écran, des icônes d’application mobile…

La «petite fleur», bien sûr! Elle est le logo de l'application mobile de Meduza pour ceux qui sont restés en Russie. Vous pouvez mettre au choix une fleur, un cœur ou un livre.

Une fleur ou un cœur

Il convient ici d'apporter quelques précisions. D’après la loi, Meduza est considérée comme une «organisation indésirable» en Russie. Cela implique qu’il est interdit de collaborer avec le titre, que ses employés font l’objet de persécutions, mais aussi qu’il est un danger pour ses propres lecteurs. Par exemple, le fait de diffuser un article de Meduza sur les réseaux sociaux est passible de poursuites pénales.

«Mon ami a été dénoncé au travail, l'un de ses collègues l’a surpris en train de lire Meduza», explique Elena. «Depuis, j’ai caché l'icône de l'application dans un dossier anonyme de mon téléphone et je couvre mon écran lorsque je lis à l’extérieur. Mais on sait tous que si la police me contrôle et m’interpelle, elle saisira mon téléphone et trouvera l’application.»

Mon héroïne, Elena, n'a rien d’une activiste politique, ni d’une extrémiste. Elle est comptable, mariée, et mère de deux enfants. Mais elle sait qu'elle peut être détenue pour rien.

«Nous sommes en contact permanent avec nos lecteurs, nous autres fondateurs de Meduza. On leur écrit et ils nous répondent, explique Galina Timchenko, directrice du média. «A un moment donné, ils ont commencé à nous parler de dénonciations, à nous rapporter qu'il était dangereux d'avoir l'application Meduza sur son téléphone. Nous avons donc imaginé des icônes en forme de fleur, de cœur, etc.»

C’est aussi sur Zoom que je rencontre la cofondatrice de Meduza, mais ce n’est pas par mesure de sécurité: Galina voyage constamment entre les trois pays où sont dispersés les journalistes de la publication, à savoir la Lettonie, l'Allemagne et les Pays-Bas. «Si le travail dans un pays est bloqué pour une raison quelconque, les journalistes prennent la relève dans un des deux autres.»

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