On l'attendait, on a été servi: le premier tour des législatives anticipées en France s'est soldé par une victoire spectaculaire du RN. A l'Assemblée, ce ne sera peut-être pas le raz de marée, mais la majorité relative est assurée. Pour conclure notre voyage en dissolution nationale, on fait le bilan des circonscriptions traversées, dans l'attente d'un second tour qui sera crucial pour l'avenir politique du pays.
Comment va la France lundi 1er juillet 2024? »Elle va comme peut aller un pays qui compte sept millions de musulmans, pour la plupart français, et qui compte aussi depuis la veille au soir 11 millions d’électeurs d’un parti ouvertement raciste et xénophobe. Le scénario est écrit», me dit un ami, fin analyste, mais qui refuse d’être cité – l’anonymat est une valeur qui monte par les temps qui courent.
Le climat, dans la France des provinces bien portantes que nous avons traversées ces deux dernières semaines, n’a pas menti. Délétère, il annonçait un séisme politique. Il a eu lieu, sans qu’il soit encore possible de mesurer dans quelle mesure et surtout avec quelles conséquences, puisque s’organise désormais la grande braderie des désistements (ou non) et alliances (ou pas) en vue du second tour, où près de 300 «triangulaires» pourraient devenir des duels entre le RN et le bloc de gauche ou, plus rarement, des représentants de la Macronie fracassée dans les urnes.
Parce que ce n’était pas indispensable, mais tellement tentant, nous sommes revenus sur nos traces virtuellement pour ausculter les résultats des villes et des circonscriptions traversées. Que s’est-il passé à Troyes, Chartres, Blois, en Corrèze, à Vichy et à Bourg-en-Bresse? Qui a passé, qui a cassé? Tour d’horizon. #### **Aube, 1re circonscription** Le RN du coin, un certain Jordan Guitton, qui ne partage pas que le prénom avec le leader du Rassemblement national, n’a eu aucun mal à plier le match. Il fait partie de la quarantaine de candidats lepénistes élus au premier tour. Député sortant, élu en 2022, il renquille pour un nouveau mandat avec 53,84% des voix. Pour mémoire, il s’agit de l’homme qui répondait *«je vois mal comment vous pourriez faire sans les Roumains dans les champs»* à un agriculteur qui lui suggérait de virer tous les étrangers pour les remplacer par des chômeurs *«bien français»*. #### **Eure-et-Loir, 1re circonscription** La plus belle moustache eurélienne s’est fait défriser, mais d’un poil seulement. Le ministre du Logement (depuis six mois et plus pour très longtemps) Guillaume Kasbarian, auteur l’an dernier d’une loi musclée contre les squatteurs, termine deuxième (32,89%), derrière la masso-kinésithérapeute lepéniste Emma Minot (33,66%), qui nous avait posé un lapin à Chartres. La kinétique étant l’étude des mouvements, on ne doute pas qu’elle observera de près ceux qui porteront les voix des électeurs de l’écologiste Jean-François Bridet vers la plus belle moustache après désistement, ce qui devrait permettre à cette dernière de l’emporter. Front républicain. #### **Loir-et-Cher, 1re circonscription** Là aussi, le boulet brun n’est pas passé loin d’un autre ministre, celui de l’agriculture, Marc Fesneau (Modem). A Blois, il finit second (34,56%), juste derrière la candidate RN Marine Berdet, qui s’était fait expulser sous nos yeux d’une manifestation ouvrière dans laquelle elle comptait manifester sa compassion pour la «désindustrialisation». Au second tour, ce sera un duel, au cours duquel ce membre de la future ex-majorité présidentielle devrait pouvoir compter sur les voix de la gauche, qui n’a qualifié personne pour le second tour. #### **Corrèze, 1re circonscription** L’ex-président normal, celui de la Vespa et des croissants, a réussi son coup. A la mi-temps, François Hollande mène (37,63%) contre une RN que nous ne sommes pas parvenu à croiser dans les (souvent charmants) villages de Corrèze. Maïtey Pouget termine sept points derrière (30,89%). Un troisième larron, le député sortant (LR) Francis Dubois (28,64%) sera au second tout dimanche 7 juillet. Dubois n’a pas encore dit duquel il allait se chauffer, pas encore de désistement. (On sent chez ceux des Républicains qui n’ont pas encore trahi leur camp la tentation d’attendre encore un peu pour voir si ça vaut vraiment le coup.) A priori, Hollande devrait retrouver un siège de député à l’Assemblée nationale pour se poser, c’était son objectif, en *«point d’ancrage social-démocrate face au chaos.»* #### **Allier, 3e circonscription** Comme Rémy Queney est diplomate, il accueillera sa probable défaite au second tour avec componction ou il prendra une pastille vichy, elles permettent paraît-il de mieux digérer. Le candidat RN dans la ville d’eaux termine second (37,82%) derrière le député sortant LR Nicolas Ray (40,05%), qui bénéficie du désistement de la socialiste Aline Jeudi (20, 04%). Le front républicain semble nettement plus automatique quand c’est la gauche qui doit faire l’effort. #### **Ain, 1re circonscription** Enfin, dans l’Ain, le commerçant de Bourg-en-Bresse qui nous a involontairement avoué que, pour mieux avancer, le RN préférait rester invisible, a grandement profité de cette stratégie. Christophe Maître porte les couleurs brunes à 39,37%. En face, le député sortant (LR) Xavier Breton réalise 23,96%, et pourra a priori compter sur le report des voix du socialiste Sébastien Guérand (23,45%), qui s’est désisté. Dans ce cas précis, le «front républicain» devient un peu piquant, dans tous les sens du terme, puisque ledit Xavier Breton était l’un des leaders il y a dix ans de la «manif pour tous», ce mouvement réactionnaire qui s’opposait au mariage pour tous. ### **«Va à la niche!»** *«Tout le débat de cette semaine, c'est de savoir si vraiment, on veut donner les pleins pouvoirs au maréchal Bardella»*, disait lundi matin sur France Info Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS), dans une diatribe qui augurait bien du climat de la semaine qui nous attend. *«Le programme du RN est profondément dangereux et a une matrice raciste»*, a poursuivi le cacique socialiste, réélu député de la 11e circonscription de Seine-et-Marne. Olivier Faure faisait face à Jean-Philippe Tanguy, un membre du bureau national du RN qui a raté de justesse son élection au premier tour dans la Somme. Lequel a été sommé de réagir à une séquence du magazine «Envoyé spécial» (France 2) qui a animé la campagne électorale. Séquence dans laquelle l'aide-soignante noire Divine Kinkela se fait insulter par ses voisins, un couple de sympathisants du RN: *«Va à la niche!»*, lance la femme sur ces images. * C'est raciste ou pas?, demande Olivier Faure à Jean-Philippe Tanguy. * «Aller à la niche» n'est pas un propos raciste, tranche ce dernier, comme Marine Le Pen le 22 juin dans *La Voix du Nord*. Toutefois, *«ce n'est pas parce que ces propos ne sont pas racistes qu'ils ne sont pas choquants»*. Autre angle d'attaque pour Olivier Faure: le programme économique du RN. *«Il n'est pas pro-business, il est en fait pro-riches (…) Rappelez-vous du patronat des années 30. C'était plutôt Hitler que le Front populaire.»* Explosion de Tanguy : *«j'en ai assez de me faire assimiler à des nazis, ça suffit. Je suis candidat, homosexuel assumé, ça fait 20 ans que je me bats pour les droits des minorités. Je n'ai pas de leçons à recevoir.»* Le RN, un parti progressiste? C’est le seul que les Français n’ont jamais essayé.