En 1982, GLP-1, la molécule minceur qui rapporte aujourd'hui des milliards, n’est identifiée que chez le poisson et le hamster. Une furieuse compétition s’engage entre chercheurs danois et américains pour passer chez l’homme. Elle se soldera par un succès, et une victime: Svetlana Mojsov, biochimiste d’origine macédonienne à New York, fut la première à synthétiser la molécule efficace. Ecartée du brevet, le sera-t-elle aussi du Nobel?

Sur la table de la salle d’attente de son bureau de la Rockefeller University à New York, Svetlana Mojsov a empilé ses carnets de laboratoire du milieu des années 1980. C’est l’époque où sont découvertes les activités biologiques chez l’homme de la fameuse molécule GLP-1, à l’origine de cette classe de médicaments anti-diabète et anti-obésité que le monde s’arrache aujourd’hui pour maigrir.

D’un de ces cahiers bruns, elle sort une feuille protégée par un plastique et couverte de lettres. Ce sont celles qui symbolisent les 20 acides aminés codés à partir de gènes pour former les protéines et leurs sœurs plus petites, les peptides. Ensemble, elles forment les briques essentielles de la vie.

Un alphabet mystérieux à Manhattan

Stylo en main pour m’inviter à suivre la lecture de cet alphabet mystérieux, Svetlana Mojsov explique: «Ce que vous voyez là, c’est la séquence complète de l’hormone précurseur du glugacon chez l’être humain. Cela se lit de la droite vers la gauche. Là, vous avez d’abord la séquence du glucagon et à partir de là celle de GLP-1 et plus loin celle de GLP-2. Vous voyez, j’ai numéroté les premiers acides aminés de GLP-1 de un à sept. Parce que le GLP-1 qui a une activité chez l’homme, c’est celui qui est coupé par une enzyme à partir du sixième acide aminé. Ceux qui ont la séquence complète ne font rien.»

On est ici au cœur de la machine de la découverte scientifique. Et si le stylo de Svetlana Mojsov insiste sur cette séparation de la séquence de GLP-1 qui démarre au septième acide aminé, ce n’est pas seulement parce que c’est la condition pour que cette molécule soit bioactive, c’est-à-dire efficace. C’est l’aboutissement d’une recherche fondamentale entamée il y a un siècle: la quête de l’hormone incrétine, sécrétée dans les intestins pour aider le pancréas à réguler le taux de sucre dans le sang, via la sécrétion d’insuline et de glucagon.

Pour cette découverte, la chimiste d’origine yougoslave est clairement sur la short list d’un prochain prix Nobel, comme en témoigne sa récente nomination pour un prix Tang à Taïwan. Mais selon la volonté d’Alfred Nobel, il ne peut y avoir que trois récipiendaires maximum pour cette récompense suprême. Jens Holst et Joel Habener, que nous avons découverts lors des précédents épisodes, sont aussi sur cette short list.

Or, il existe évidemment d’autres candidats potentiels dont la contribution a été critique. Par exemple, Pauline K. Lund, qui a découvert la séquence de GLP-1 chez la baudroie, ou Graeme Bell qui l’a identifié chez le hamster puis l’homme. Ou bien encore Daniel Drucker, un chercheur de l’Université de Toronto qui a consacré sa carrière, initiée avec Joel Habener, à l’étude de GLP-1.

En 2021, le prix Gairdner International, la plus haute récompense médicale canadienne, souvent considérée comme une antichambre du Nobel de médecine, a été attribué à Joel Habener, Jens Holst et Daniel Drucker. D’autres prix et articles scientifiques ayant minimisé son rôle dans cette histoire, Svetlana Mojsov a pris le parti de demander des rectifications. En septembre 2023, un article de la revue américaine Science, suivi le mois d’après par l’influent site spécialisé Stat News, mettait en avant sa contribution. La revue britannique Nature en a fait une des 10 personnes les plus influentes du monde l’an dernier.

Quand je lui pose la question d’un éventuel Nobel, Svetlana Mojsov répond par un haussement d’épaule. Que ce soit par superstition ou par modestie, vous ne trouverez de toute façon aucun scientifique pour s’affirmer candidat à cette récompense, qui a par ailleurs la faculté d’échapper aux pronostics. Mais au-delà de ce prix, elle veut que sa contribution essentielle soit reconnue.

L’Université Rockefeller à New York. | FD, Heidi.news

A 70 ans passés, Svetlana Mojsov est toujours professeure associée à l’Université Rockefeller. Cette institution singulière, créée il y a 123 ans, est entièrement consacrée à la recherche médicale de pointe et n’accueille que des étudiants en doctorat ou postdoctorat. C’était le cas de Svetlana Mojsov, en 1972, quand elle quitte sa Yougoslavie natale, après des études de physique-chimie à l’Université de Belgrade, pour commencer une brillante carrière outre-Atlantique.

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