Contrairement aux apparences, qu’il a tenté de ripoliner, les déclarations xénophobes et racistes sont encore légion chez les encartés au Rassemblement national. D’où le choix d’une quasi-invisibilité médiatique des candidats sur le terrain, afin d’éviter les dérapages. Suite et fin de nos pérégrinations, à la veille du premier tour, dimanche 30 juin, des élections législatives où peut-être tout bascule.

Les candidats RN filent-ils du mauvais coton? Selon *Libération*,[ qui a dressé la liste](https://www.liberation.fr/politique/elections/legislatives-candidats-racistes-agressions-contre-la-gauche-et-les-bougnoules-lextreme-droite-en-roue-libre-avant-le-premier-tour-20240628_VUKMRRIW4BD45FXAPEXKHJFBJY/) des candidats racistes, des agressions contre la gauche et les «bougnoules», l’extrême droite est en roue libre en France avant le premier tour, et la parole xénophobe libérée par la proximité d’un triomphe électoral. Cette *«sélection des affreux»* est d’autant plus troublante que le parti de Marine Le Pen tente par tous les moyens d’afficher le visage le plus lisse possible, qui lui a permis de devenir la première formation du pays aux récentes élections européennes et dans les intentions de vote pour ces législatives anticipées.  Le[ dernier sondage](https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/28/legislatives-2024-forte-participation-annoncee-pour-un-scrutin-inedit_6245130_823448.html) (Le Monde/Ipsos, réalisé les 27-28 juin auprès de plus de 10 000 électeurs), donne le Rassemblement national et ses alliés LR «ciottistes» à 36% des intentions de vote, devant le Nouveau Front Populaire à 29% et le groupe Ensemble de la majorité présidentielle à 20%. Majorité absolue en vue et prise de Matignon par le RN? On le saura le dimanche suivant, le 7 juillet, après une semaine infernale d’arbitrages, de promesses, d’alliances, de trahisons et de désistements (ou non). Les «triangulaires» seront nombreuses entre les trois pôles (gauche, centre, extrême droite) qui ont émergé de la recomposition express du paysage politique. De l’aveu même des sondeurs, personne à ce stade n’est capable de fournir des projections fiables. Mais revenons à nos moutons noirs. ## Sur le carreau à Vichy Les candidats RN filent-ils du mauvais coton? A Vichy, ce ne serait pas déplacé, puisque la ville d’eaux du département de l’Allier a donné son nom à un fameux tissu à carreaux – mais aussi à des pastilles digestives octogonales (900 tonnes par an), et surtout à un régime politique abject institué le 11 juillet 1940, plus difficile à digérer. Et comme c’est sur la route, à peine sortis de Corrèze, et après avoir rapidement longé la chaîne des volcans d’Auvergne dans le Puy-de-Dôme, nous voici déjà dans cette ville au style suranné, un peu glaçant: Maréchal, nous voilà.  D’accord, il faut avoir l’esprit mal tourné pour ne chercher que les candidats du RN dans un endroit appelé Vichy. Ou faire preuve, au contraire, d’une grande vigilance historique. Toujours est-il qu’à peine installé sur un banc dans le Parc des Sources en pleine réfection (pour faire plaisir à l’Unesco, qui l’a classée au Patrimoine mondial, la ville investit 100 millions d’euros pour retaper ses pavillons Baltard, ses hôtels, ses installations thermales), nous sommes à la recherche de cet individu: * Rémy Queney, 55 ans, célibataire, diplomate en fonction, candidat RN dans la 3e circonscription de l’Allier (Vichy). Fait partie des «Horaces», un cercle de hauts fonctionnaires, conseillers et hauts cadres d’entreprises qui roulent – souvent de façon anonyme – pour Marine Le Pen. Extrait de sa profession de foi dans le journal local, *La Montagne*: il entend *«contribuer, par la volonté des électeurs, à constituer une large majorité parlementaire qui permette à Jordan Bardella de former un gouvernement d’union nationale apte à redresser la France.»* Nous trouvons son contact, et celui de la section du RN dans le département; nous appelons, plusieurs fois, sans réponse; et laissons un, puis plusieurs, messages, audio et écrits: mail, SMS, WhatsApp, LinkedIn… Des heures d’attente. Aucun retour.  ## Le silence de la campagne Les candidats RN ne répondent jamais, ils rasent les murs.[ A Chartres, aux premiers jours de notre voyage](https://www.heidi.news/explorations/france-et-rn-voyage-en-dissolution-nationale/a-chartres-une-belle-moustache-centriste-et-un-vilain-lapin-d-extreme-droite), une étudiante de 22 ans investie par le parti nous avait fait faux bond. A Blois, la section locale RN nous avait mené en bateau, et en Corrèze, il a été presque inutile de chercher les candidats lepénistes que personne *«ne voit jamais sur le terrain»,* nous avait-on dit. Alors, quid? Existe-t-il une stratégie volontaire d’évitement? Les ordres viennent-ils d’en haut, de l’état-major de la formation, à Paris, conscient que les candidats ne sont pas tous au niveau requis, et que, pire, il peut arriver à certains de proférer des horreurs qu’il faudra ensuite laborieusement présenter comme de simples erreurs? En un mot: le RN avance-t-il masqué ou c’est moi qui me fais des idées, vexé d’avoir été snobé jusqu’ici par les candidats évanescents? Une recherche Google avec les mots «RN + invisible» me permet de tomber sur un article instructif du *Journal de l’Orne*, en Basse-Normandie, intitulé[ «La drôle de stratégie du Rassemblement national dans l’Orne»](https://actu.fr/normandie/argentan_61006/legislatives-la-drole-de-strategie-du-rassemblement-national-et-de-reconquete-dans-lorne_61218372.html). On y apprend que le RN mène dans le département une *«campagne silencieuse»*, que ses deux candidates sont les seules à ne pas avoir répondu au journal, qu’elles restent *«injoignables et introuvables»* et ne résident même pas dans le département. Que des informations publiques à leur sujet sont *«tout simplement inexistantes»*, malgré de nombreuses recherches. Et que le siège du parti dans le département *«n’a pas répondu aux sollicitations.»* ## Qu’en France qu’on voit des choses pareilles Quelques dizaines de kilomètres plus loin, après avoir traversé des champs vallonnés enfin écrasés par le soleil d’été, donc moissonnables, et de fait aussitôt moissonnés, nous voici au nord du département de la Loire, que nous ne manquons pas de traverser à la hauteur de Roanne. Plutôt que l’autoroute, nous traçons sur la mythique Nationale 7, au bord de laquelle le Château d’Ailly, à Parigny, a si fière allure que nous décidons d’y passer la nuit après avoir découvert, on ne peut rien vous cacher, que le châtelain loue des chambres sur *Booking.com*. Alec de Brosses était banquier d’affaires en Allemagne, et puis un jour, il y a 25 ans, il a hérité du domaine, dans la famille depuis près de trois siècles. Une punition, plus qu’un héritage: 100 hectares, 70 pièces, des dépendances.  Pour survivre, et réparer le toit, il faut louer tous les week-ends pour des mariages ou des séminaires d’entreprise. Il y a aussi la vente du bois, mais là les choses se corsent: *«la France est devenue un pays horriblement compliqué,* explique le comte de Brosses. *D’abord je dois faire la différence entre le bois coupé et le bois tombé, ce n’est pas la même TVA. Et puis il y a désormais cette nouvelle taxe de l’interprofession du bois, la CVO. Vous savez ce que cela signifie? Contribution volontaire obligatoire. Volontaire ET obligatoire. Il n’y a qu’en France qu’on voit des choses pareilles.»* Pour ceux que ça intéresse, la CVO des propriétaires forestiers publics et privés s'élève à 0,5% du montant des ventes de bois sur pied, 0,33% pour le bois vendu bord de route, 0,25% pour le bois rendu usine ou 0,15% pour le bois énergie. ## Le point cornouille L’aristocrate de la N7 n’a pas vraiment envie de nous suivre dans une discussion politique sur les tensions du moment. Il préfère nous parler de sa célèbre confiture de cornouilles, dont il est l’un des très rares producteurs en France. Doué d’une patience hors norme puisqu’il faut cueillir les petits fruits rouges à la main, et les dénoyauter un à un, peu de chair autour du noyau. *«L'arbre cornouiller fleurit très tôt dans l'année et donne de petits fruits au goût de grenadine»*, explique-t-il avant de préciser que la confiture de cornouilles se marie bien avec le gibier, le contraire nous aurait déçu.  Dans les années 1990, Alec de Brosses avait lancé un concours pour distinguer la meilleure recette de cornouilles. L'appel avait été diffusé sur une radio nationale et *«des ménagères des quatre coins du pays ont envoyé leurs recettes»*. Dans le jury chargé d'éplucher la soixantaine de propositions siégeait le chef Pierre Troisgros de la table homonyme à Roanne\*, «capable de lire ces recettes comme des partitions. Un regard lui suffisait pour savoir si la recette pouvait donner un grand plat ou passer complètement à côté du produit»*, se rappelait le comte il y a quelques années [dans les colonnes du](https://www.lepoint.fr/societe/le-long-de-la-n7-22-a-parigny-l-aristo-de-la-cornouille-27-03-2017-2114960_23.php)* [Point](https://www.lepoint.fr/societe/le-long-de-la-n7-22-a-parigny-l-aristo-de-la-cornouille-27-03-2017-2114960_23.php)\* qui consacrait une série d’été à la Nationale 7. Il reste tant de choses à découvrir sur la cornouille. Mais il faut reprendre la route, pour terminer le voyage. ## Totalement «surbooké» Les candidats RN filent-ils du mauvais coton? A Bourg-en-Bresse (Ain), nous tentons notre chance une toute dernière fois dans le but de résoudre l’énigme de ces arlésiennes à répétition. Appel à un certain Christophe Maître, commerçant et conseiller municipal d’opposition. Dans *La Voix de l’Ain*, il se présente comme *«le représentant de la France des lève-tôt»* et veut défendre, une fois élu à l’Assemblée nationale, des thèmes clés *«comme l’immigration, la sécurité et le pouvoir d’achat».* * Bonjour, je suis journaliste suisse à Genève, juste à côté, et j’ai quelques questions sur la campagne électorale dans votre circons… * (Ton sec.) Non. Je ne réponds qu’aux médias locaux, pas aux nationaux, ni internationaux. * Ah, et qui a décidé ça ? Le parti ? * Oui, oui c’est ça… Enfin, non, c’est moi. De toute manière je suis surbooké sur le terrain avec mes équipes. Des «équipes» d’autant plus pléthoriques que personne n’est en mesure de les croiser pour les compter. Assez. Il est temps de plier les gaules. A Colombey-les-Deux-Eglises, le général homonyme doit bien se retourner dans sa tombe.