Depuis 2022, la transparence est de mise sur le financement de la vie politique suisse: les partis politiques et les groupes d’influence engagés dans une campagne fédérale doivent déclarer publiquement tous les moyens engagés. Mais il existe un énorme vice dans la machine, estime notre chroniqueur Michel Huissoud, ex-Contrôleur général des finances à Berne.

La pharma a très probablement combattu l’initiative pour un frein aux coûts dans la santé, qui prévoyait de limiter la hausse des primes en fonction de celle des salaires. Celle-ci a été sèchement retoquée le 9 juin dernier, par près des deux tiers des votants. Ce soutien au non a-t-il été conduit en toute transparence, en déclarant correctement les moyens et les sommes employés à cet effet?

La réponse à cette question se trouve dans un bureau fermé à Berne, à la Monbijoustrasse 45. Le Conseil fédéral a décidé que le Contrôle fédéral des finances (CDF) est chargé de vérifier le respect des règles sur le financement de la vie politique et de faire des contrôles sur place… Mais attention, pas question de publier le résultat de ces contrôles! Impossible, donc, de savoir si les données publiées sont correctes ou pas.

Petit retour en arrière pour comprendre cette incongruité. ### **Plus de transparence, mais pas trop non plus** Le 10 octobre 2017, une sympathique [sympathique alliance](https://transparenz-ja.ch/fr/organisation/) dépose une initiative pour plus de transparence dans le financement de la vie politique. Le Conseil fédéral balaie l’idée: trop compliquée, pas compatible avec le fédéralisme, trop coûteuse à mettre en place. Et puis les initiatives cantonales pour la transparence sont acceptées, en 2018 à Fribourg, puis en 2019 à Schwyz, et le monde politique fédéral prend peur. Le Parlement décide d’élaborer un contre-projet, adopté après de longues discussions. Les initiants ont finalement accepté en 2021 de retirer leur initiative au profit du contre-projet. Détail important: ils l’ont fait sans connaître la position acrobatique de l’Office fédéral de la justice, en charge du dossier. Et c’est là que le bât blesse. La loi prescrit que l’autorité compétente – le Conseil fédéral a décidé qu’il s’agissait du CDF – contrôle si les acteurs politiques ont communiqué toutes les informations et tous les documents. Après avoir effectué le contrôle, l’autorité compétente publie les informations et les documents sur son site web. L’ordonnance précise que le CDF peut compléter les informations et documents à publier par des informations factuelles et des statistiques. Jusque-là, pas de problème. Sauf que l’ordonnance de mise en œuvre, [publiée le 24 août 2022](https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2022/490/fr), s’accompagne d’un [«rapport explicatif»](https://www.bj.admin.ch/dam/bj/fr/data/staat/gesetzgebung/archiv/transparenz-politikfinanzierung/erl-vpofi.pdf.download.pdf/erl-vpofi-f.pdf) de l’Office fédéral de la justice, qui précise l’application de la loi. Et là, il faut s’accrocher. ### **De l’art du contrôle discret** Le contrôle du CDF, voulu par la politique, se limiterait selon cet office à vérifier les documents et à déterminer s'il y a lieu ou non de déposer une plainte pénale. Le Parlement se serait sciemment prononcé en faveur d'un concept qui ne permette pas au CDF de signaler des informations éventuellement incorrectes. Autrement dit, le Contrôle fédéral des finances est ravalé au rang de chambre d’enregistrement muette. Le caractère grotesque de cette position avait rapidement été identifié par le CDF, qui avait demandé – c’était sous ma direction – un [avis de droit](https://www.efk.admin.ch/fr/fachtexte/avis-de-droit-concernant-lart-76f-de-la-loi-federale-sur-les-droits-politiques-du-18-juin-2021/) au Pr Markus Müller, de l’Université de Berne. Cet avis a été publié en février 2022 et transmis officiellement au DFJP. Il est clair (c’est moi qui souligne): *«Le contrôle vise à garantir que le contenu de la déclaration est exact et exhaustif. En d’autres termes, il convient de publier la déclaration une fois qu’elle a été contrôlée (et corrigée, le cas échéant). Dans la mesure où un contrôle fait apparaître des signes d’incohérence des données communiquées, **l’autorité compétente est tenue d’en informer le public***.» ### **Peut-être justes, peut-être pas** Suivant l’avis de l’Office fédéral de la justice, le CDF a publié en 2024 [une première liste des contrôles effectués](https://www.efk.admin.ch/fr/transparence-du-financement-de-la-vie-politique-les-decomptes-finaux-des-votations-federales-du-3-mars-2024-sont-disponibles/), mais sans publier les résultats. *«Le CDF n’est pas autorisé à communiquer des informations sur le résultat de ces contrôles»*, précise l’institution. Impossible donc de savoir si les contrôles du CDF ont permis de corriger des erreurs, ou si des chiffres faux ont finalement été publiés. Pas grand-chose à voir avec la transparence. Des demandes d’accès à ces documents, en application de la loi sur la transparence, ont donc été déposées, notamment par l’auteur de cette chronique. Si nécessaire, elles seront défendues jusqu’à Strasbourg. Parce que notre démocratie en vaut la peine…