Deux musiques se font entendre à l'heure où j’écris: le vrombissement des Rafale de la base aérienne de Mont-de-Marsan, dans le sud-ouest de la France où je renoue avec mes racines familiales. Et les tambours du Rassemblement national en train de rouler sur les législatives. C’est de la seconde que je viens vous parler, alors que nous lançons sur Heidi.news une nouvelle Exploration. Intitulée «Voyage en dissolution nationale», elle vient battre la campagne d’un Hexagone en train de basculer vers l’inconnu.
A Mont-de-Marsan, comme partout dans l’Hexagone, la politique se passe de politesse. C’est ainsi que jeudi matin au réveil, ma mère m’a balancé l’actualité au visage avant ma première gorgée de café:
- Tu as vu l’article je-ne-sais-plus-combien de la Constitution, qui donne les pouvoirs étendus au président? Macron pourrait l’utiliser après les législatives.
* …
* C’est quand même fou! Tout le monde en parle, à la télé, à la radio, partout.
Comme il est agaçant pour un journaliste de se découvrir moins informé que sa mère à la retraite, qui étudie des philosophes morts et ne connaît pas Google Actu, j’ai creusé un peu.
### Cadeau du Général
Au cas où vous aussi auriez manqué un épisode, voici. La France, nation des arts et des droits de l’homme, possède dans sa loi fondamentale un article 16, notable à deux titres. D’abord, c’est le seul de toute la Constitution à présenter [une faute d’accord](https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008/2008-07-25), ce qui est ballot.\
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Ensuite, et c’est ce qui nous intéresse, il permet au président français de s’affranchir de toute séparation des pouvoirs en cas de menace *«grave et immédiate»* sur la République, son territoire ou et ses institutions, et que le *«fonctionnement régulier des pouvoirs publics»* est interrompu.\
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Je vous passe la petite histoire, vous devinez qu’elle a trait à De Gaulle et son obsession de ne pas rejouer la faillite de Vichy. Toujours est-il que cette disposition, que d’aucuns jugent inquiétante ou surannée, permet au chef de l’Etat de gouverner seul pour un temps – avec quelques garde-fous [que je vous laisse consulter](https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur#article_16).\
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Cet article 16 ne fut employé qu’une seule fois, en 1961, lorsqu’une clique de généraux pro-Algérie française voulut prendre le pouvoir par les armes. L’épisode se solda comme vous savez, avec un ordre restauré, De Gaulle renforcé, et le retrait d’Algérie. La République avait tenu bon.
### Recette de boule puante
Quel rapport avec aujourd’hui? La dissolution du 9 juin dernier a plongé la France dans la stupeur, et personne ne sait quel équilibre politique va émerger à l’issue des législatives anticipées. D’aucuns misent sur le RN à Matignon, d’autres sur une contre-alliance salvatrice. Beaucoup – dont je suis – anticipent un certain chaos, en l’absence de majorité claire à l’Assemblée.\
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C’est dans ce contexte que la radio Europe 1 a relancé la carrière de l’article 16. *«En cas de débordements après les élections, Emmanuel Macron pourrait activer l’article 16 de la Constitution»*, [assène-t-elle](https://www.dailymotion.com/video/x90k50w) dans sa matinale du 19 juin, suivie par plus d’un million d’auditeurs. D’après [un journaliste politique maison](https://x.com/chauveaua?lang=fr), le ton grave et la voix claire, le président français discuterait avec son entourage de l’opportunité d’utiliser cette bombe constitutionnelle.\
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Macron dictateur! Il n’en a pas fallu plus pour provoquer une explosion de reprises dans les médias. Tous les médias? Non, à vrai dire, surtout ceux dirigés par le milliardaire breton Vincent Bolloré, comme CNews, *Le Journal du Dimanche*, ou… Europe 1, qui ne s’est pas privée de rebondir. L’examen des sources est éloquent, et comme mieux vaut un bon dessin:
En fait, les constitutionnalistes interrogés dans les médias non-Bolloré s’accordent à penser que jamais l’article 16 ne pourrait être utilisé dans le contexte post-législatives, qui risque d’être incertain mais dont rien ne permet de penser qu’il sera insurrectionnel. L’Elysée, qui n’avait même pas été contacté par Europe 1, [dément formellement](https://www.liberation.fr/checknews/dou-est-venue-la-rumeur-dementie-par-lelysee-dun-possible-recours-de-macron-a-larticle-16-de-la-constitution-20240619_WA5YLJX3MBDYBAVLU3HWHI3PME/) tout projet en ce sens.\
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S’il fallait achever de vous convaincre qu’il s’agit là d’une *fake news* de la plus belle eau, sachez qu’Europe 1 a depuis [retiré en catimini l’article de son site](https://www.europe1.fr/politique/europe-1-vous-revele-en-cas-de-debordements-apres-les-elections-le-emmanuel-macron-pourrait-activer-larticle-16-de-la-constitution-4253523). Et que ni la radio, ni le journaliste politique à l’origine du «scoop» n’ont souhaité répondre à mes demandes d’éclaircissement. Pendant ce temps, naturellement, le thème continue de vivre dans les autres médias affiliés à Bolloré.
### Un milliardaire à la manœuvre
Qu’est-ce que cela nous dit de la situation de l’Hexagone? D’abord, que le milliardaire breton mène une offensive politique tous azimuts en faveur de la droite extrême, grâce à ses médias et ses porte-flingues (Cyril Hanouna, Laurence Ferrari, Pascal Praud…). *Le Monde* a même relaté comment le patron des Républicains Eric Ciotti [avait orchestré avec Bolloré](https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/13/comment-eric-ciotti-a-orchestre-avec-vincent-bollore-l-annonce-de-son-ralliement-au-rn*6239404*823448.html) le ralliement de son parti au RN.\
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L’offensive est si puissante, [et évidente](https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/16/legislatives-2024-comment-les-medias-de-vincent-bollore-orchestrent-l-alliance-du-rn-et-de-la-droite*6240508*823448.html), que Mediapart s’interroge sur [le financement occulte](https://www.mediapart.fr/journal/politique/200624/bardella-cnews-et-la-piste-des-financements-occultes-de-la-campagne-du-rn) de la campagne RN par les médias du conglomérat Bolloré, rappelant qu’ils ne sont soumis à aucune limitation financière (contrairement aux partis politiques) et que le groupe est [lourdement soupçonné](https://www.mediapart.fr/journal/france/070624/affaires-africaines-ce-que-contient-le-requisitoire-du-pnf-contre-vincent-bollore) de manipulation électorale en Afrique. Il y a du savoir maison.\
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Ce n’est pas faute de savoir: voici des années que [la presse relate](https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/) que Bolloré rachète des médias pour leur briser les reins et leur imposer sa ligne idéologique. Rien n’y fait. Cette orbanisation rampante n’a jamais provoqué d’électrochoc de la part des pouvoirs publics, pour des raisons qu’il conviendrait de méditer. Si le RN accède au pouvoir, il a déjà prévu d’achever le travail [en dézinguant l’audiovisuel public](https://www.nouvelobs.com/economie/20240620.OBS90030/privatisation-de-l-audiovisuel-public-le-projet-au-gout-de-vengeance-de-marine-le-pen.html).
### Voyage en dissolution nationale
Si vous avez l’impression que la situation est sérieuse, c’est que vous avez bien jaugé. Son système politique, si souvent brocardé en Suisse, fait de la France un polder: les grands partis de gouvernement y sont tellement favorisés que la montée des partis extrêmes y est rendue à peu près indolore. Mais si la digue finit par céder, il faut s’attendre à un tsunami. On y est.\
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Les Français en ont conscience, qui assistent avec stupeur à l’accélération des derniers jours. Le sud-ouest de la France, contrairement par exemple au Midi ou au Nord, n’a rien d’un bastion traditionnel de l’extrême droite. Mais comme le reste de l’Hexagone, à l’exclusion de quelques métropoles, il s’est découvert bleu marine à l’issue des européennes. Quelque chose a basculé dans mon pays.\
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Alors quand Serge Enderlin, journaliste vaudois à la plume acérée et l’humour mordant, a proposé à *Heidi.news* d’en sillonner les routes le temps d’une campagne éclair, [nous n’avons pas hésité](https://www.heidi.news/explorations/france-et-rn-voyage-en-dissolution-nationale). Il a prévu de traverser des régions qui, justement, n’ont jamais été des bastions du RN: le Grand-Est, la troisième couronne parisienne, l’Ouest riche, le Centre modéré…\
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Je ne sais pas encore ce qu’il nous racontera, mais je sais que j’ai envie de l’entendre, et j’espère que vous aussi. Après tout, Bolloré a réussi à mettre les pieds chez ma mère. Pourquoi pas un journaliste helvète.