Vous vous en souvenez peut-être, nous avions publié il y a un an et demi une enquête sur une enseignante genevoise à la fibre commerciale. Elle se vantait d’être la vendeuse numéro 1 en Suisse d’une entreprise de marketing pyramidal. Heidi.news s'est retrouvé sous le coup d’une plainte auprès du Conseil suisse de la presse pour avoir publié ces articles.

Il y a un an, le 19 mai 2023, une plainte a été déposée contre Heidi.news auprès du Conseil suisse de la presse, à propos d’une de nos enquêtes. Signée par Sarah Zeines, une de nos collaboratrices régulières, celle-ci dévoilait le business interlope d’une enseignante de Genève, devenue selon ses dires la vendeuse numéro 1 en Suisse d’une entreprise américaine de vente de voyages – en réalité, du marketing de réseau qui fleure bon l’arnaque.

Une pyramide et des pigeons

On rembobine. Dans [le premier article](https://www.heidi.news/articles/comment-une-societe-pyramidale-vend-du-reve-aux-mamans-de-mon-quartier-a-geneve), paru en décembre 2022, nous relations comment cette enseignante de primaire a réussi, selon ses dires, à rallonger ses revenus de 8000 francs par mois en se faisant l’ambassadrice de ladite entreprise, notamment auprès des collègues et parents d’élèves, via un démarchage actif incluant des posts sur les réseaux sociaux pendant les heures de cours. Et comment la société en question cochait toutes les cases d’un système pyramidal. Le concept: sous couvert de vendre des produits invendables, recruter d’autres «partenaires» qui, moyennant commission, pourront à leur tour tenter de faire de même en activant leur réseau. Le schéma ressemble à une pyramide de Ponzi, c’est-à-dire qu’une poignée de vendeurs se remplit les poches tandis que la plupart des autres travaillent à perte. Le système tient tant qu’il continue de se propager, en recrutant des vendeurs-pigeons en mal d’argent facile. Dans un [second article](https://www.heidi.news/education/marketing-pyramidal-la-prof-vendeuse-de-reves-poussee-vers-la-sortie-par-des-parents-furieux), deux mois plus tard, nous expliquions comment une dizaine de parents d’élèves furieux s’étaient plaints au DIP, parce que leurs enfants avaient accumulé un sérieux retard scolaire avec l’enseignante en question – que nous avons baptisée Marianne. Laquelle, visiblement accaparée par sa carrière de vendeuse de séjours au soleil et de poudre aux yeux, ne semblait pas déployer trop de zèle à soutenir ses élèves en difficulté. ### Zéro pointé En dépit de son goût pour l’affichage, il semble que Marianne n’ait pas goûté ce coup de projecteur sur ce qu’elle qualifie d’*«aventure humaine exceptionnelle»* – qui a déjà ruiné quelques collègues. Via son avocat, elle a porté plainte contre *Heidi.news* au motif que l’enquête aurait attenté à sa vie privée et qu’elle comportait des éléments erronés, concernant notamment la légalité de son activité. Vous pouvez lire [l’avis en ligne](https://presserat.ch/fr/complaints/11_2024/), il a été rendu début mai. Pour vous la faire courte, le Conseil suisse de la presse a rejeté la plainte, estimant qu’aucun des articles de la [Déclaration des devoirs et droits du/de la journaliste](https://presserat.ch/fr/journalistenkodex/erklaerungen/) – notre petite Bible à nous – n’avait été violé, contrairement aux affirmations de la plaignante. Traduction: nous n’avons fait, et bien fait, que notre travail de journaliste. C’est la troisième fois que *Heidi.news* est mis en cause devant le Conseil suisse de la presse, et la troisième fois que nous gagnons. Sans compter les plaintes trop fantaisistes pour être instruites, comme celle reçue par l’un d’entre nous pour avoir eu le toupet d’écrire sur [la sûreté des vaccins Covid chez les enfants](https://www.heidi.news/sante/les-etats-unis-ont-vaccine-les-enfants-a-tour-de-bras-et-les-retours-sont-tres-rassurants). Nous avons aussi eu notre lot de procédures judiciaires. Pour l’heure, nous n’avons jamais été condamnés – et ne prévoyons pas de l’être de sitôt. ### C’est de vous qu’on s’autorise Il n’empêche. Ces procédures sont lourdes pour un média, a fortiori pour un petit titre comme *Heidi.news*. Coûteuses en argent, car les avocats de la place genevoise ne sont pas gratuits, et couteuses en temps, car monter une défense argumentée est chronophage. (Y compris pour la pauvre journaliste indépendante!) C’est autant de ressources que nous ne pouvons dédier à notre cœur de métier. On peut y voir la rançon du succès, et nous évitons de trop nous plaindre. Après tout, certains médias – nous vous parlerons bientôt du site russe *Meduza* dans notre [Exploration sur les journalistes heureux](https://www.heidi.news/explorations/on-a-trouve-des-journalistes-heureux/ce-media-d-investigation-qui-a-jete-des-millions-d-allemands-dans-la-rue) – en sont à devoir masquer l’identité de leurs plumes, esquiver des cyberattaques ciblées et exiler leurs rédactions pour éviter les ennuis judiciaires… On n’est pas si mal en Suisse! Mais il y a là un air du temps qui ne sent pas tout à fait la rose. Alors que la confiance dans les médias s’affaiblit et que ceux-ci luttent pour faire émerger de nouveaux modèles économiques, les attaques contre la presse se multiplient. Les procédures-bâillon sont légion – sans émouvoir outre-mesure [les autorités fédérales](https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20243325) – et tout se passe comme si énoncer des faits peu flatteurs tenait de l’outrage. Faut-il y voir l’évolution logique d’un monde où la vérité devient élusive et où chacun devient sa propre auto-entreprise? Qu’importe, il faut se réjouir. De voir que les institutions font leur travail et que vous, lectrices et lecteurs, restez attachés à ce qu’on vous dise le monde, sans trop de fard ni de concession à l’air du temps. En dernière analyse, c’est de vous qu’on s’autorise. ### Des nouvelles de Marianne Au passage, il semble que notre enquête n’ait pas fait perdre à Marianne son esprit d’entreprise, ni sa *positive attitude*. L’autrice de l’enquête, Sarah Zeines, continue de suivre le dossier de près. Elle nous adresse ces quelques mots rassurants: *«La vie semble avoir repris comme avant pour la plaignante. Elle a récemment posté des images de son dernier congrès à Nice pour la société au cœur de notre article. On y voit un montage de son minois bronzé en bord de mer et d'une salle de conférence blindée. Le tout, sur fond de musique hip hop. Sur scène, les success stories de vendeurs se succèdent, appâtant les nouvelles recrues potentielles sur place. Certaines présentations sont même agrémentées de petites chorégraphies enjouées. La machine commerciale continue à tourner, malgré la controverse.»* Pour conclure, nous aurions aimé laisser la parole à notre vendeuse de nuages, mais il faut rester attentif à protéger son identité. Bornons-nous à citer la fin d’une de ses longues publications inspirantes sur les réseaux sociaux: *«Le meilleur est à venir»*. Sur cela, on peut s’entendre!