Laissant Hitler et ses seringues de côté, notre journaliste nous raconte la ville de Mozart. Luttant sous le couvercle noir de la dépression, elle augmente le dosage de ses médicaments mais se retrouve dans une impasse thérapeutique: ses drogues ne font plus effet. Arrive Lucienne, amie de longue date qui lui propose un séjour dans une clinique de luxe, pour se désintoxiquer. Episode en partie inspiré par un des héros de notre journaliste, l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, que notre journaliste regrette de n’avoir pas su écouter à l’époque, avant qu’il ne soit trop tard. 

Je n’ai pas tout de suite tilté. Je lui ai dit, à mon mari, que le suivrais jusqu’au bout du monde et que ma mission sur terre se résumait à l’aimer et à le servir. Toutes ces choses, je les lui ai dites, mais à une seule condition: que notre lieu de vie ne soit pas hanté. Quand je dis hanté, je ne parle pas nécessairement de créatures recouvertes de draps blancs avec deux trous à la place des yeux. J’ai étudié le sujet, celui des fantômes. Je me suis entretenue avec une variété d’enchanteurs, de géobiologues et de chasseurs de morts. Tous expriment plus ou moins la même idée, mais avec des références culturelles et spirituelles qui leurs sont propres.

Eugène, un exorciste fort prisé par les cercles de la promotion immobilière genevoise, me dit de toujours dire à mes amis de ne pas se suicider. «Parce qu’après, affirme-t-il*, on ne sait pas où ils vont.»* Un autre, sourcier celui-ci, affirme le contraire. Les âmes suicidées seraient, selon lui, les plus faciles à évacuer car justement en paix avec leur décision de quitter notre plan. La vérité, évidemment, c’est qu’on n’en sait rien. Nous pouvons tergiverser pendant des heures, voire pendant des vies entières sur ces énergies immatérielles et imperceptibles par la science, nos conclusions ne dépasseront vraisemblablement jamais le seuil de la fiction.

Cette réalité des faits ne m’a nullement empêchée de développer, dès les premières années de ma vie, des exigences tenaces en matière de fantômes, de vibrations et autres ressentis herméneutiques. Je refusais par exemple de mettre un orteil chez tante Rubie car, affirmais-je, sa maison croulait sous les mauvaises ondes. Certains sont allergiques aux chats, d’autres à des choses qui demeurent, pour le meilleur ou pour le pire, dans la tête.

Salzbourg sous influence

Autre précision: mes drogues. Parmi les effets secondaires qu’elles sont susceptibles d’engendrer (maux de tête, fatigue, troubles de la libido, agressivité, hallucinations, éruption cutanée, chute de cheveux, mouvements involontaires, pertubation du goût, hypotension orthostatique, convulsions, troubles visuels, grincements des dents, difficulté à uriner, troubles des règles, écoulement de lait par le mamelon, réaction allergique, hépatite, baisse du taux de sodium dans le sang, troubles du rythme cardiaque, saignements de nez, hémorragies génitales ou digestives, suicide, mort et j’en passe,) leurs prises sur ce que nous appelons, par défaut, des fantômes, avoisinent, du moins dans mon cas, le degré zéro. Que je sois sous 5 mg ou 50mg de Citalopram, la maison de tante Rubie reste invariablement hantée.

Si je vous raconte tout ceci, c’est parce qu’en effet, lorsque j’ai visité Salzbourg pour la première fois et que je n’y ai vu que du feu, j’étais sous l’influence de 10mg de Citalopram et peut-être, mais je n’en suis même plus sûre, de 5mg de Focaline. Ce dosage concorde avec la vitesse de croisière de mes années berlinoises. Des somnifères et des benzo, je n’en prenais quasiment plus. Il m’arrivait certes de sortir tard le soir et de substituer l’alcool par de la MDMA, mais ces occurrences sont restées tout à fait exceptionnelles. Droguée je l’étais donc assurément un peu, mais infiniment moins que je ne l’avais été et que je le deviendrai par la suite. Non, ce n’est pas la drogue qui m’a empêché de renifler ce qu’il aurait fallu que je renifle lorsque j’ai visité Salzbourg pour la première fois. C’est autre chose.

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La visite de l’épouse

Mais revenons aux faits. Avant d’emménager à Salzbourg, je me suis rendue sur place pour renifler. J’ai pris un train de bonne heure en partance de Berlin. Mon mari, qui préparait «la visite de l’épouse» depuis des semaines, m’a accueilli sur le quai de la gare. Il était coiffé de son plus beau chapeau et était si nerveux que j’en ai eu les larmes aux yeux. Il m’a pris par la main et nous sommes allés déjeuner sur la terrasse du Café Bazaar, où il avait réservé une table ombragée, donnant directement sur la Salzach. Il m’a ensuite emmenée dans les rues de la vieille-ville. Je savais pertinemment qu’il avait orchestré, planifié et répété chacun des pas que j’allais effectuer jusqu’à mon départ le lendemain à l’aube et à nouveau, son désir que mes désirs se calquent sur les siens m’attendrit et me rendit plus amoureuse encore.

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