L'écrivain Blaise Hofmann a rédigé la préface de notre revue «Qui nourrira la Suisse demain». Il le dit tout net: être paysan ou paysanne, c’est travailler plus que tout le monde, gagner moins que tout le monde et nourrir des gens qui croient qu’on les empoisonne. Pour son livre Faire paysan, il a enquêté un an et rencontré des centaines de professionnels.

Quoi, eux sur la paille? Avec leurs Fendt de 200 chevaux et des propriétés de 50 hectares? Pardon? Des entrepreneurs indépendants? Eux qu’on arrose tellement de paiements directs qu’ils sont à moitié fonctionnaires! Qu’on rétribue une première fois avec sa fiche d’impôts, une seconde dans les supermarchés?...

D’accord, ils sont les premières victimes des pesticides qu’ils manipulent, victimes aussi d’un dérèglement climatique qui leur impose gel, sécheresse, inondations, maladies. Cela dit, qui continue d’émettre du méthane, de polluer les rivières et tuer les abeilles?

Vous vous êtes regardés?

On fait l’éloge du bio… mais sa part de marché stagne, à environ 11%. L’offre dépasse aujourd’hui la demande. On le sait, l’alimentation est es-sen-tielle… Mais on ne lui consacre que 7% du budget familial. On fantasme, on veut «reprendre la terre aux machines», en finir avec les multinationales de l’agrochimie, désherber à la main et réactiver la traction animale… Mais on oublie que nos grands-parents ont justement fui les campagnes pour éviter ces corvées.

Sous la coupe des géants oranges

La Coop, la Migros? Sans moi!

Depuis l’enquête de Heidi.news et du Temps sur les marges de la grande distribution en 2022, on a compris que les deux premiers clients de l’agriculture suisse, la Coop et la Migros, sont aussi ses fossoyeurs. Et leurs slogans – «Ma région: pour le meilleur de nos terroirs», «On en fait plus pour la Suisse» – contredisent leurs procédés: marges opaques et exagérées, importations aux coûts écologiques et sociaux désastreux. Et pourtant, quatre aliments sur cinq proviennent toujours de ce duopole.

Comment y voir clair, quand de puissants acteurs agroalimentaires portent le doux nom de «coopératives», alors que leur fonctionnement est tout sauf coopératif, excluant les exploitations trop petites, imposant des prix, des calibres, un calendrier. La plus grande de ces «coopératives», la Fenaco (Fédération nationale des coopératives), pèse 8 milliards de chiffre d’affaires et contrôle la moitié du marché national des céréales et des pommes de terre. Elle  fournit aux paysans les semences, les engrais, réceptionne leurs récoltes, les transforme dans ses propres entreprises pour les revendre via ses 600 supérettes Volg et ses 300 magasins Landi. Lesquels restent vus par les consommateurs comme des antennes régionales à taille humaine…

Qui pilote encore la machine?

À Berne, 10% des parlementaires sont agriculteurs (alors que la profession ne représente plus que 2% de la population). L’Union suisse des paysans reste une faîtière ultra-majoritaire, ultra-puissante  – le fameux «lobby paysan» n’est pas mort. Et pourtant, rares, très rares, sont les terriens satisfaits de leur sort.

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