En 2013, un groupe d’hommes révoltés contre la politique européenne d’Angela Merkel se réunit dans une église d'Oberursel, au centre de l’Allemagne. Ainsi naît l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), promis à l’avenir qu’on sait. Mais la formation d’alors n’a rien de la clique d’extrême droite qu’elle est devenue, c’est un parti d’économistes et d’intellectuels. Avec un cheval de bataille: la sortie de l’euro.

La région d’Oberursel, bourgade cossue du centre de l’Allemagne, est réputée pour son climat favorable. Nichée derrière la crête montagneuse du Taunus, qui sert d’abri contre les nuages, elle jouit souvent d’un temps radieux que le reste de la grande plaine du nord lui envie. Les habitants ont joliment baptisé le phénomène Sonnenloch, littéralement «trouée de soleil». Autre singularité de la commune: elle jouxte Francfort, place financière et métropole d’affaires, ville la plus riche du pays.

Il est difficile de ne pas y voir une métaphore. Celle d’une Allemagne arc-boutée pour conserver ses deniers au sein d’une Europe perçue comme un panier percé. Car Oberursel possède une dernière particularité, qui ne figure pas sur les guides touristiques: c’est là, par une froide journée de 2013, qu’est né Alternative pour l’Allemagne (AfD). Loin de la formation national-identitaire qui fait aujourd’hui trembler le pays, c’est alors un parti d’intellectuels considérés comme très fréquentables.

«Nous allons fonder un parti»

«Trouve une salle, nous allons fonder le parti.» Quelques semaines après le coup de fil d’un professeur d’économie à un journaliste à la retraite, une poignée d’hommes en colère se réunissent dans la salle paroissiale de la petite église luthérienne d’Oberursel. Le journaliste à la retraite, c’est Konrad Adam, ancien de la Frankfurter Allgemeine et de die Welt, résident de longue date d'Oberursel. C’est lui qui arrive le premier, ce mercredi 6 février 2013, avant midi. Le leader Bernd Lucke, professeur de macroéconomie à l’Université de Hambourg, ne tardera pas. A l’heure du café, seize autres les auront rejoints à cette réunion improbable.

«J’ai fondé l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) il y a quelques semaines, avec des amis», déclarera Bernd Lucke sur un plateau de télévision le mois suivant. La vérité, c’est que les 18 hommes réunis à Oberursel ne se connaissaient pas tant que ça. Les invitations, Bernd Lucke les a avant tout envoyées aux personnes qu’il savait être sur la même ligne anti-euro que lui. Des économistes, pour la plupart. «Des gens qui voulaient changer les choses, en Allemagne, il y en avait plein. Lucke a réussi à nous rassembler», observe Norbert Stenzel, premier trésorier de l’AfD, au téléphone avec Heidi.news

Haro contre l’euro

Bernd Lucke, Alexander Gauland, Konrad Adam, Martin Renner, Jobst Landgrebe. La plupart des fondateurs du parti ont une page Wikipédia, un CV long comme le bras et peu de temps pour les journalistes. Norbert Stenzel, lui, a répondu à nos questions. Retraité, originaire de la région de Francfort, il avait été contacté par Bernd Lucke à l’été 2012 déjà. «Bernd Lucke m’a fait venir à Paris, où il enseignait alors, se rappelle Stenzel. Il avait l’ambition de créer un nouveau parti.»

A Oberursel, il découvre ses acolytes. «Ils venaient de toute l’Allemagne», dit-il. Dans les faits, les fondateurs sont surtout des économistes et des entrepreneurs de l’Ouest. Car la préoccupation principale est économique: l’euro était une erreur, l’heure a sonné du retour au «D-Mark», comme le surnomment ses partisans. Le bon vieux Deutsche Mark, symbole de la réussite économique d’après-guerre, pour qui les Allemands ont toujours eu un attachement confinant à l’adoration.

Le passage à l’euro avait été un deuil pour Berlin, qui avait posé ses conditions: une monnaie unique forte et stable, digne successeur du mark, et une politique budgétaire rigoureuse pour tous les pays dans l’Union. D’accord pour embarquer dans le même bateau, mais pour un seul cap et avec un équipage irréprochable.

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