Nous publions les bonnes feuilles de Crimes et tremblements, les mémoires de Jean-Daniel Ruch, ex-ambassadeur de Suisse en Serbie, Israël et Turquie. L'épisode ci-dessous se situe en 2012, après le départ de Micheline Calmy-Rey du Conseil fédéral. Son successeur, Didier Burkhalter, estime qu'elle a endommagé les relations avec Israël en soutenant trop franchement la fameuse «Initiative de Genève».

L’ancien diplomate suisse Jean-Daniel Ruch vient de publier ses mémoires, Crimes et tremblements (éd. Favre), en mai 2024, assortis d’une préface de Micheline Calmy-Rey. L’homme a servi la Suisse au Proche-Orient et dans les Balkans, où il a été à la fois ambassadeur et proche collaborateur de Carla del Ponte lorsqu’elle était procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

Jean-Daniel Ruch a été nommé l’an dernier au poste prestigieux de secrétaire d’Etat à la Politique de sécurité avant d’en être écarté in extremis, juste avant sa prise de fonction. La presse de boulevard alémanique avait évoqué une histoire de mœurs, l’intéressé lui est convaincu que l’affaire est politique: on lui reproche d’avoir parlé durant des années au Hamas, dont il dénonce pourtant la «boucherie» du 7 octobre. Mais l’intransigeance est aussi de l’autre côté: «Je n’ai jamais rencontré des représentants d’un gouvernement israélien intéressé à la paix avec les Palestiniens», écrit celui qui fut ambassadeur dans à Tel-Aviv entre 2016 et 2021.

Son livre, passionnant, fourmille de détails sur les coulisses de la diplomatie suisse et des grands enjeux du monde. Le voyage commence dans le Jura des années de braise, entre 1962 et 1975. C’est là que l’auteur fait son éducation politique – la découverte de la violence verbale et physique, des combats de narratifs et de la propagande, des déchirements identitaires. Un leitmotiv revient ensuite: la volonté de comprendre les gens. Comment un jeune homme peut-il devenir un criminel de guerre? Qu’est-ce qui pousse à la haine? Qu’est-ce qui suscite la peur et Le rejet de l’autre? Les clés se situent dans l’histoire, individuelle, mais aussi collective des peuples.

Les extraits que vous allez lire sont tous issus du dixième chapitre, baptisé «Mission Israël». La titraille est de la rédaction.

--- ### Torpillé par les Israéliens *«It is nice to come and see us, but we have nothing to talk about.»* C’était ma toute première rencontre avec la diplomatie israélienne. Elle ne fait pas dans la dentelle. Raffi Barak, le directeur politique au Ministère des affaires étrangères, voulait tout de suite m’intimider. Les Israéliens détestaient que nous n’eussions pas obéi comme les autres Occidentaux aux vœux de Tel-Aviv, à savoir décréter que le Hezbollah et le Hamas étaient des organisations terroristes et cesser tout contact avec elles. Nous n’avions jamais cédé. Le coût: le même Raffi Barak a plus tard bloqué ma candidature comme chef de l’ONU au Liban, alors que c’était pratiquement fait. J’étais évidemment déçu, car je me voyais bien en médiateur pour l’ONU, et j’avais vraiment de bonnes relations avec toutes les factions libanaises. J’avais fait une interview à New York. J’avais brillamment passé le cours de conduite pour les chefs de mission organisé par l’ONU. Le chef des affaires politiques de l’ONU, l’Américain Feltmann, me soutenait, \[Micheline\] Calmy-Rey \[cheffe du Département fédéral des affaires étrangères\] aussi. Bref, pour moi c’était dans la poche. Et bam! J’avais sous-estimé le pouvoir de nuisance des Israéliens dans cette affaire. On était au début de 2012. Je méditais cet échec, non sans rancœur, dans mon petit bureau de la Bundesgassse à Berne, lorsque me fut servie l’occasion de remettre les pendules à l’heure – tout en faisant quelque chose de positif pour notre politique au Proche-Orient. Depuis plusieurs années, nous financions en partie une réunion confidentielle d’experts israéliens et arabes qui se déroulait chaque année en mars à Prague. Il s’agissait en quelque sorte d’une préparation à la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes, qui trouva sa consécration sous Trump avec les «Accords d’Abraham». Le professeur Spiegel, de l’Université de Californie à Los Angeles, était l’organisateur. Ce matin-là, je trouvai dans mon courrier sa demande de contribution, 50’000 francs. J’hésitai quelques instants, puis tapotai sur mon clavier: *«Sorry, but I won’t be able to support you this year».* Sa réponse fusa: *«Without your support, we can’t have the meeting. This is a big problem. I will lose face. Can we talk?»* Je n’ai jamais refusé de parler à qui que ce soit. Quelques heures plus tard, nous étions au téléphone entre Los Angeles et Berne. * I don’t see why I should support the Israelis in establishing links with Arab States when they killed my UN job. * Maybe I can help you. I will make you meet people who can help you. Je savais que le professeur Steven Spiegel était très bien connecté dans l’establishment israélien. Pourquoi ne pas tenter le coup? J’acceptai donc l’offre de Spiegel et signai le chèque. Et, effectivement, il y eut des résultats. ### «Message passed» Deux mois plus tard, à Prague, je bus un café avec un petit homme bizarre. C’est peut-être méchant à dire, mais il me rappelait E.T., l’extra-terrestre du film culte de Steven Spielberg. Je n’ai jamais su son nom. * How can I help you? * I have a problem with Raffi Barak. * I have some influence on him. * The UN Lebanon candidacy is anyway dead. But: he is coming in April to Berne for political consultations. I would like him to do two things: support the Geneva Initiative and refrain from criticizing the work we are doing with Hamas. * OK. Makes sense. Quelques jours plus tard, je reçus un SMS: «Message passed». Le petit E.T. avait donc passé le message à Raffi Barak. Restait à voir ce que ça allait donner. Car le futur de la politique suisse dans cette région dépendait de ce que Barak allait dire – et donc de l’influence de ce monsieur bizarre sur lui. Le DFAE vivait une transition du règne Calmy-Rey à celui de \[Didier\] Burkhalter. (...) Comme c’est souvent le cas, surtout quand un ministre de droite remplace un ministre de gauche ou vice versa, on voulait faire les choses différemment (...), rétablir de bonnes relations avec Israël (le sous-entendu étant qu’elles s’étaient détériorées sous la socialiste Calmy-Rey). Et pour cela, ils étaient prêts à jeter aux orties les deux lignes d’action dominantes de la Suisse au Proche-Orient, celles qui nous donnaient une certaine valeur ajoutée, l’initiative de Genève et le dialogue avec le Hamas. ### Le texte qui apporte des solutions au Moyen-Orient L’Initiative de Genève était un accord de paix israélo-palestinien signé en grande pompe à Genève en 2003. Ce n’était pas une initiative suisse. Trois ans auparavant, Israéliens et Palestiniens étaient arrivés à deux doigts d’un accord lors des négociations qui échouèrent à Taba, en Égypte, à cause de différends sur Jérusalem. Certains membres des deux équipes de négociateurs, Yossi Beilin du côté israélien et Yasser Abed Rabbo du côté palestinien, n’acceptèrent pas l’échec. Avec l’aide d’Alexis Keller, professeur à l’Université de Genève, ils poursuivirent les discussions à titre privé. Elles aboutirent à ce qui est depuis connu comme l’Initiative de Genève. Le texte, très équilibré, propose des solutions pour tous les sujets brûlants du conflit: frontières, sécurité, mais surtout sort des réfugiés et Jérusalem. En effet, le deal tourne autour d’une concession palestinienne majeure sur les réfugiés (qui, contrairement au droit international en vigueur, ne pourraient en vertu de l’accord de Genève plus rentrer chez eux si ce chez-soi est en Israël) en échange d’une concession israélienne majeure sur Jérusalem, dont la partie orientale deviendrait la capitale d’un État palestinien incluant en outre Gaza et la Cisjordanie, avec quelques arrangements territoriaux pour que les plus grandes colonies juives soient intégrées à Israël. Si on voulait une solution à deux États, ce que réclame le droit international, cela avait été la seule solution viable. Les autres confineraient au crime de guerre: soit nettoyage ethnique, soit apartheid façon bantoustans de l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid ou réserves palestiniennes comme il y a des réserves d’Indiens aux USA. L’Initiative de Genève présentait donc la seule option viable conforme au droit international et à l’intérêt des peuples juif et palestinien. Mais il y avait deux problèmes: (1) il s’agissait d’un accord entre des représentants influents des sociétés civiles respectives certes, mais qui ne représentaient pas leurs gouvernements; (2) à la fois le gouvernement israélien, influencé par les colons de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, et le Hamas, un des principaux mouvements palestiniens, rejetaient l’accord de Genève avec véhémence. Tous deux souhaitaient contrôler tout le territoire de la Méditerranée à la mer Morte. ## Le virage Burkhalter Notre stratégie comportait donc deux axes, (1) aider la société civile israélienne à créer un courant de soutien fort en faveur de l’Initiative de Genève au sein de la population israélienne, et (2) entamer un dialogue avec le Hamas afin de le faire évoluer vers une acceptation de la solution à deux États, donc du modèle signé à Genève. On le verra plus tard, cette approche n’était ni irréaliste, ni naïve. Oui, le 7 octobre 2023 n’était pas quelque chose d’inéluctable. On aurait pu le prévenir, on aurait pu créer un cercle vertueux au lieu de laisser pourrir la situation. En 2012, un nouveau conseiller fédéral prit en mains les affaires étrangères: Didier Burkhalter, qui représentait le centre droit. Dès qu’il fut installé, il voulut plaire à Israël – et à ses soutiens au sein de la droite suisse. *«Jean-Daniel, l’Initiative de Genève est morte et tout le monde parle au Hamas»*, m’avait lancé \[son\] secrétaire d’Etat Yves Rossier peu après sa désignation. Conséquence logique: ton job est inutile et il faut tirer la prise de ces deux lignes d’action suisses. Yves participait aux consultations politiques d’avril avec le secrétaire d’Etat sortant, Peter Maurer. J’étais à la table des discussions, curieux de savoir si les promesses de Steven Spiegel et du petit homme ressemblant à E.T. allaient se concrétiser. ### La réunion des surprises *«It is good to be in a country with which we have no problem»*, lança Raffi Barak d’entrée de jeu. Premier regard interloqué de Maurer et Rossier vers moi. *«Even what you are doing,* poursuivit l’Israélien en me regardant droit dans les yeux, *is ok. You should continue.»* Il faisait référence au dialogue que je menais avec le Hamas. Deuxième regard interloqué de mes supérieurs. La discussion se poursuivit. *«Sur le processus de paix, il n’y a pas grand-chose à dire. Nous ne sommes pas un acteur»*, annonça Peter Maurer, l’air résigné. *«Oh, I don’t agree,* répliqua notre interlocuteur à la surprise générale. *What you have done with the Geneva Initiative is very valuable. You should continue.»* Troisième regard interloqué dans ma direction. Spiegel et E.T. avaient tenu parole. Leur influence m’impressionna. (...) Nous poursuivîmes donc notre action en faveur de la paix, et en soutenant l’Initiative de Genève, et en essayant d’influencer le Hamas. (...) Or, la Suisse souhaitait se désengager. Il était devenu difficile de justifier cet engagement eu égard à ses résultats. Mais qui a connu autre chose que l’échec dans le guêpier proche-oriental? Cela inclut tous les présidents américains depuis Jimmy Carter. Celui-ci avait au moins réussi à ficeler un accord de paix entre Israël et l’Égypte en 1979. Les détracteurs de \[Micheline Calmy-Rey\] et de la diplomatie suisse, y compris ses successeurs à la tête des affaires étrangères, se plaisaient à répéter que *«l’Initiative de Genève \[était\] morte»*. Dire cela, c’est dire: *«la solution à deux États est morte»*. Or, cette fameuse solution à deux États, aussi improbable qu’elle paraisse, reste la position officielle de l’ONU, de l’UE, des Américains, des Russes, des Chinois... Bref, de l’ensemble de la communauté internationale. (...) ### Parler au Hamas Alors pourquoi, malgré l’approbation des populations, la solution à deux États a-t-elle échoué? Parce que, de part et d’autre, il y avait des spoilers, des perturbateurs, des mouvements puissants qui n’avaient ni intérêt ni l’intention de renoncer à leurs prétentions maximales: la droite israélienne d’un côté, et surtout en son sein le mouvement des colons nationalistes religieux, les islamistes de l’autre, dont le groupe le plus important, le Hamas, contrôle Gaza depuis 2007. Mon rôle était de leur parler. Ma première rencontre avec le mouvement islamiste eut lieu à l’été 2008 à Gaza. En plein Ramadan. Mon prédécesseur, Didier Pfirter, avait tenu à me présenter un des penseurs du Hamas à Gaza, Ahmed Youssef. Le Hamas avait pris le contrôle de Gaza en 2007, et expulsé la faction palestinienne rivale, le Fatah de Mahmoud Abbas, au pouvoir en Cisjordanie. Par la suite, j’eus l’occasion de rencontrer plusieurs des principaux leaders du mouvement, notamment Mahmoud Zahar, Ismaïl Haniyeh et Khaled Meshal. Je garde un souvenir particulier des longues conversations avec ce dernier, le plus souvent dans des hôtels au Qatar ou en Égypte alors qu’elle était dirigée par les Frères musulmans. Dès mon premier voyage en Israël, au Liban et en Syrie, à l’été 2008, il m’apparut clairement que les forces islamistes étaient là pour durer. Les leaders du Hezbollah et du Hamas ont un discours beaucoup plus construit, et sont de bien meilleurs stratèges que leurs pendants laïques et pro-occidentaux. Les premiers jouissent donc d’une meilleure organisation et d’une plus grande crédibilité. Ils sont moins accusés de corruption. Motivées par la religion, leurs troupes sont déterminées et mobilisées. Ce n’est donc pas un hasard si le Hamas a remporté les seules élections parlementaires libres que la Palestine a connues, en 2006. Certifiées par l’Union européenne qui avait appliqué la méthodologie développée par l’ODIHR à Varsovie sept ans plus tôt. Mais les Israéliens réussirent assez facilement à convaincre les Européens et les Américains (mais pas Micheline Calmy-Rey!) à rejeter le résultat de ces élections. Le motif: le Hamas est une organisation terroriste et on ne parle pas aux terroristes, on les élimine. Ils imaginèrent trois conditions à remplir par le Hamas pour que le mouvement islamiste devienne casher: renoncer à la violence (comme si les Israéliens renonçaient à la violence), reconnaître l’existence d’Israël (comme si les Israéliens reconnaissaient le droit à l’existence d’un État palestinien) et accepter les accords existants (alors que les Israéliens violent les accords d’Oslo systématiquement). Accepter ces conditions eût été pour le Hamas signer son arrêt de mort. Une grosse partie de ses troupes auraient immédiatement quitté le mouvement pour rejoindre des franges plus extrémistes comme le Djihad islamique. Beaucoup de mes discussions avec Khaled Meshal tournaient autour de ces trois conditions. Ces échanges, longs et intenses, ne sont pas restés sans résultats, tout de suite balayés par les Israéliens. Hélas, je n’ai jamais rencontré des représentants d’un gouvernement israélien intéressé à la paix avec les Palestiniens. (...). La seule chose qui pourrait faire évoluer la position maximaliste d’Israël serait un changement brutal de la position américaine. (...) ### Un leader du Hamas dans un monastère suisse Nous avons essayé de sensibiliser le Hamas à la cause de la paix en les invitant à une rencontre près de Zurich en 2009. Mahmoud Zahar était là, Oussama Hamdan, le leader du Hamas au Liban aussi, et quelques autres. Deux anciens soldats de l’Irish Republican Army (IRA), ainsi qu’une brochette de personnalités occidentales venues des États-Unis, d’Allemagne et de France, y compris d’anciens ministres, participèrent. \[L’ancien ambassadeur suisse\] Tim Guldimann, qui avait fait une carrière prestigieuse après la Tchétchénie, présidait. Les Irlandais rappelèrent les tortures subies dans les prisons anglaises, et racontèrent comment le Good Friday Agreement avait changé leurs vies. Il fallait oser renoncer à la lutte armée et donner une chance à un compromis imparfait, certes, mais qui ouvrirait la voie vers la paix. (...) \[Mais\] Mahmoud Zahar, qui était le leader du groupe des Palestiniens présents au Feusisberg, était plus impressionné par le paysage de la campagne zurichoise que par les Irlandais. *«See, how everything is well organised»*, s’émerveillait-il. On l’amena même au monastère d’Einsieldeln, où il fut reçu par l’abbé. Il doit encore y avoir quelque part cette photo du leader idéologique du Hamas avec l’abbé d’Einsiedeln, tous deux penchés sur une bible historique dont seuls deux exemplaires subsisteraient, chaque page comportant une traduction en cinq langues différentes, y compris l’arabe et l’araméen. (...) J’ai aussi tenté de jeter des ponts en direction des extrémistes juifs, en l’occurrence les colons de Hébron. Je me suis même rendu dans la maison d’un leader de cette communauté, feu le rabbin Waldman de Kiryat Arba, un faubourg d’Hébron séparé sans surprise de la grande ville palestinienne par un haut mur que les Israéliens appellent clôture. Par cette visite inhabituelle, voire contraire à nos règles, je tentais de sauver la présence d’observateurs internationaux à Hébron, dont la Suisse faisait partie. Cette mission, la TIPH (Présence internationale temporaire à Hébron), avait été déployée en 1994 après qu’un colon, Baruch Goldstein, eut massacré vingt-neuf Palestiniens priant dans le Caveau des Patriarches. La Suisse faisait partie de cette mission internationale avec cinq autres nations européennes. Les colons détestaient cette présence qui documentait les violations du droit international liées à la colonisation dans la grande ville du sud de la Cisjordanie. Ils voulaient prendre prétexte d’un incident regrettable pour la fermer: un observateur suisse avait repoussé un peu brutalement un gamin juif qui le harcelait en lui jetant des cailloux. La scène avait été filmée et fut immédiatement montée en épingle. Ma démarche auprès des colons de Hébron donna un léger sursis à la TIPH. En 2019, Netanyahou décréta cependant la fin de cette mission. Les ministres des pays participant à la présence regrettèrent cette décision, mais il n’y eut ni suites, ni sanctions. ### L’intransigeance des colons Je connaissais un peu Waldman, pour avoir participé à des réunions qui visaient à créer de l’empathie vis-à-vis de ces religieux qui ne voulaient pas admettre que la contrepartie de leur présence en Cisjordanie était l’oppression des Palestiniens. Ils rejetaient l’idée qu’ils vivaient sur des terres qui n’étaient pas les leurs, tout en insistant que leur religion n’était qu’amour. *«Toute la terre d’Israël nous appartient»*, insistait-il. Le problème est qu’on ne sait pas où s’arrête Israël, car c’est probablement le seul pays du monde qui n’a jamais voulu fixer ses frontières dans une loi ou dans un accord international. *«Nous sommes les seuls à pouvoir faire jaillir l’énergie de cette terre»*, renchérissait-il. Un peu couard, je n’ai pas osé lui dire que c’était sûrement un peu aussi grâce à la nappe phréatique palestinienne. *«Les Palestiniens peuvent rester, mais il faut qu’ils reconnaissent que la terre nous appartient.»* À cela, nous essayions de répondre en opérant une distinction entre la propriété physique et l’appartenance spirituelle, un argument qui n’est pas sans attrait auprès de ces religieux dont l’intérêt fondamental est de vivre à proximité de leurs lieux saints. À Hébron, il s’agit du Caveau des Patriarches où seraient enterrés Abraham, Isaac, Jacob ainsi que leurs épouses Sarah, Rebecca et Léa. Mais l’échange avec Waldman qui m’a le plus marqué s’est déroulé dans un petit kibboutz du sud d’Israël. Là vivaient les Israéliens juifs qui avaient été retirés par la force de Gaza par Ariel Sharon en 2005. Il faut imaginer le rabbin Waldman: c’était un vieil homme frêle à la barbe blanche fleurie, qui parlait avec douceur de son amour de Dieu et de la terre d’Israël: * Our religion is about love. We want to spread love. J’essayai de le provoquer: * May I ask you something, rabbi: For me, it is always very challenging to love my enemies. In the Christian tradition, we are supposed to turn the other cheek when an enemy hits us. How do you spread love among your enemies? Il se redressa sur sa chaise. Ses yeux lançaient soudain des éclairs: * We don’t turn the other cheek towards our enemies. We kill them.