Le journal brésilien Voz da Comunidades est né en plein chaos, dans une des favelas les plus dangereuses de Rio de Janeiro. De nos jours, «la Voz» est devenu le porte-voix des bidonvilles, à la fois groupe de presse et ONG, tandis que son jeune et charismatique fondateur s’affiche aux côtés du président Lula. Une réussite flamboyante, qui n’est pas sans interroger la frontière entre journalisme et communication. Rencontre.

L’histoire commence en 2005 au Complexo do Alemão, un des plus grands ensembles de favelas de Rio de Janeiro. Rene Silva, un écolier de 11 ans au regard sérieux, fils d’une couturière et d’un balayeur alcoolique décédé cinq ans plus tôt, lance un journal amateur pour parler du quotidien du quartier: Voz da Comunidade, la voix de la communauté – le nom politiquement correct pour désigner une favela. Dès le départ, l’aventure est placée sous le signe de la débrouille. Pour pouvoir payer les impressions, le gamin fluet vend dans la rue des confiseries préparées par sa famille. Son premier ordinateur et son premier appareil photo, il les reçoit d’enseignants qui souhaitent l’encourager.

Dix-neuf ans plus tard, Rene Silva se tient devant nous, dans ses bureaux situés au pied du Complexo do Alemão. Sur le mur blanc en face de lui, la une encadrée du magazine Americas Quarterly, qui célèbre le combat de la Voz contre les fake news. Derrière lui, une poignée d’employés dans un grand open space, penchés sur des articles ou sur les prochains événements qu’organise le média. Le jeune Brésilien noir de peau a grandi, il arbore une barbe bien taillée et des dreadlocks aux pointes décolorées. Son journal aussi a pris de la maturité : toujours gratuit, il tire à 15 000 exemplaires physiques et fête son centième numéro mensuel. Son site web reçoit plus d’un million de visiteurs par an et les abonnés sur les réseaux sociaux se comptent par centaines de milliers.

Doté de 27 employés – qui cumulent souvent un autre emploi – et d’une armée de pigistes, «la Voz», comme on l’appelle ici, couvre l’actualité des quelque 1000 favelas que compte la Ville Merveilleuse. Le journal a été rebaptisé Voz da Comunidades, la voix des communautés. Malgré le succès, Rene Silva et son journal n’ont pas bougé de l’Alemão, gigantesque dédale de rues escarpées, coincé entre une bretelle d’autoroute et la Supervia, ligne de trains reliant Rio à sa banlieue.

Une favela sous les projecteurs

À l’origine de cette ascension étonnante se trouve un événement qui a marqué l’histoire du Brésil: la tentative de «pacification» du Complexo do l’Alemão en novembre 2010. Pendant trois jours, plus de 2800 policiers et militaires prennent d’assaut la douzaine de favelas sur la colline de l’Alemão et alentours, au nord de Rio. Fantassins, blindés, hélicoptères… Tous les moyens sont mis pour reprendre le quartier de tôles et de ruelles, réputé le plus dangereux du pays, aux gangs de narcotrafiquants qui y règnent en maîtres. Les affrontements sont violents, 37 morts, et braquent les yeux du monde sur la favela de Rene, alors âgé de 17 ans.

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