C’est une des questions clés autour de l’avènement des intelligences artificielles génératives: quelle place laisseront-elles aux métiers, souvent intellectuels et créatifs, qui semblent désormais à leur portée? Le choc pourrait être tel que des personnalités comme Mark Zuckerberg ou même Elon Musk commencent à évoquer l’idée d’un revenu universel. On en arrive déjà à des situations ubuesques où des IA de recrutement professionnel trient des candidatures rédigées par IA…

Les prévisions concernant les bouleversements de l'emploi à l'échelle mondiale sont plutôt alarmantes. Contrairement aux idées préconçues, ce ne sont pas seulement les économies avancées qui seront affectées. Les marchés émergents et les pays à faible revenu ressentiront également les secousses de cette transformation.

Un exemple qui frappe les esprits est celui des call centers (ou centre d'appels), qui emploient 17 millions d'agents dans le monde. Ils sont essentiellement basés aux Philippines et en Inde, mais on en trouve aussi en Afrique du Sud, au Brésil, en Pologne, au Mexique... Selon la société de conseil Gartner, d'ici à 2026, une interaction sur dix avec un service client sera automatisée grâce aux avancées en intelligence artificielle conversationnelle. De quoi redessiner radicalement le secteur.

L’IA n'affectera pas uniquement les emplois à col blanc, mais aura un impact significatif sur un large éventail de professions, y compris dans les usines et les entrepôts, où les ouvriers seront progressivement remplacés par des robots humanoïdes – dotés de la capacité de percevoir leur environnement, de marcher sur deux jambes et de manipuler des objets. Grâce aux algorithmes d'IA générative basés sur l'apprentissage profond, [ces robots](https://blogs.nvidia.com/blog/generative-ai-robotics-isaac/) pourront constamment s'améliorer et acquérir de nouvelles compétences en interagissant avec leur environnement, sans avoir besoin d'être reprogrammés. ### **L’ampleur du choc** Un [rapport](https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/generative-ai-could-raise-global-gdp-by-7-percent.html) de la banque d'investissement Goldman Sachs a secoué le monde en mars 2023, seulement 16 mois après le lancement de ChatGPT, en estimant que l'intelligence artificielle avait le potentiel de supprimer près de 300 millions d'emplois, à plus ou moins long terme. Puis en janvier 2024, dans un [billet de blog](https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2024/01/14/ai-will-transform-the-global-economy-lets-make-sure-it-benefits-humanity), la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a appelé les gouvernements à mettre en place des filets de sécurité sociale et à proposer des programmes de reconversion professionnelle afin de faire face aux défis de l'IA sur le marché du travail mondial, lequel *«pourrait affecter jusqu'à 60% des emplois»*. Car, contrairement aux innovations majeures du passé, telles que la machine à vapeur et l'électrification, qui ont mis des décennies à s’imposer, l'adoption de l'IA générative se fait à une vitesse sans précédent.   Une [enquête](https://www.adeccogroup.com/our-group/media/press-releases/leading-through-the-great-disruption-2024) menée par la société de recrutement et de travail intérimaire Adecco Group publiée en avril 2024, a révélé que 41% des dirigeants de grandes entreprises dans le monde s'attendent à réduire leurs effectifs en raison de l'IA au cours des cinq prochaines années. [Carl Benedikt Frey](https://www.carlbenediktfrey.com/), économiste à l'Université d'Oxford et auteur d'une[ étude sur l'impact potentiel de l'IA sur l'emploi](https://www.amazon.fr/Technology-Trap-Capital-Automation-English-ebook/dp/B07M8YV8PF?ref_=ast_author_mpb), estime que les craintes actuelles sont probablement exagérées à court terme. Selon lui, rapporte le magazine *[Fortune](https://fortune.com/2024/05/19/ai-jobs-replacing-workers-learning-to-use-gen-ai-technology-ups-ibm-google/)*[,](https://fortune.com/2024/05/19/ai-jobs-replacing-workers-learning-to-use-gen-ai-technology-ups-ibm-google/) l'IA générative nécessite toujours une intervention humaine pour donner les instructions et vérifier la qualité des résultats.  Mais Carl Benedikt Frey, spécialiste en histoire de l’innovation, est moins optimiste pour le long terme. Il compare la situation actuelle à celle des allumeurs de réverbères, qui ont d’abord conservé leur emploi même après l'introduction de l’éclairage électrique. Mais avec le temps, les villes ont commencé à installer des interrupteurs qui contrôlaient des quartiers entiers, et finalement des minuteries et des capteurs de lumière qui ont permis de se passer totalement d'intervention humaine. ### **Les métiers à risque** Voici quelques-unes des professions en première ligne. Dans tous les cas, l’IA générative augmente la productivité et offre des gains de temps considérables. Une efficacité accrue qui incitera les entreprises à réduire le nombre d'employés. Les **journalistes** peuvent traiter l’actualité provenant des agences de presse avec l’IA afin de les reformuler dans leur propre style éditorial. Ils peuvent encore synthétiser des rapports ou les traduire. Dans l'**administration**, l'IA peut automatiser de nombreuses tâches répétitives comme la saisie de données, le traitement des formulaires, la gestion des agendas et des emails. Pour les **graphistes**, l'IA accélère les premières étapes de conception en générant rapidement, des visuels d'après de simples invites textuelles. Le travail des **développeurs**, automatisée en partie par l’IA, permet la génération, l'optimisation et le débogage de code. L’IA devrait faciliter le travail des **avocats et juristes** dans la recherche de jurisprudence, l’analyse de contrats ou la rédaction de documents types. En **publicité et marketing**, l'IA peut carrément produire des campagnes, des slogans et des stratégies fondées sur les données de consommation. Pour les **scientifiques**, l’IA peut analyser des grandes quantités de données pour générer des hypothèses et les aider à détecter des corrélations insoupçonnées, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes. Les **enseignants** peuvent créer du matériel pédagogique, évaluer et noter les travaux des élèves avec l'IA. En **finance**, l'IA effectue des analyses de marché et génère des rapports de prévision. La **traduction** de grands volumes de texte est grandement accélérée par l'IA, ce qui vaut pour des documents en tous genres, mais aussi pour des sous-titres pour vidéo et des scénarios. Enfin, dans **l'industrie du X**, contrairement à Hollywood où les acteurs sont représentés et protégés par un puissant syndicat, des plateformes vidéo comme Sora permettront aux utilisateurs de diriger des «performeurs IA» dans des scénarios interactifs et personnalisés, réduisant la nécessité de filmer des personnes réelles. ### **A quoi ressembleront les nouveaux emplois?** *«L'IA ne vous remplacera pas. C'est une personne qui utilise l'IA qui vous remplacera.»* Ce [mantra](https://www.forbes.fr/technologie/lia-ne-vous-remplacera-pas-mais-une-personne-utilisant-lia-le-fera/), bien qu’il ne soit pas clairement attribuable à une personne spécifique, est devenu emblématique dans les débats sur l'impact de l'intelligence artificielle sur le marché du travail. Maîtriser ces outils exigera de nouvelles compétences pour en tirer le meilleur parti et sera impératif pour préserver son poste. Historiquement, les nouvelles technologies ont créé plus d'emplois qu'elles n'en ont supprimé. Cependant, l'intelligence artificielle est bien plus disruptive que les avancées précédentes, car elle permet d’automatiser des tâches cognitives complexes et réduit la demande pour bon nombre de compétences spécialisées. En somme, un grand nombre d’emplois qualifiés, notamment dans les industries créatives et intellectuelles, sont voués à disparaître ou évoluer drastiquement. Quant aux [nouveaux emplois générés](https://www.linkedin.com/pulse/12-new-jobs-generative-ai-era-bernard-marr-z7bge/), ils demanderont des compétences très spécifiques dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’ingénierie. Pour faire face au chômage généralisé qui risque de survenir, [le professeur Geoffrey Hinton](https://www.bbc.com/news/articles/cnd607ekl99o), pionnier des réseaux neuronaux et des fondements théoriques de l'IA (surnommé *«le parrain de l'IA»*), ainsi que [des dirigeants d'entreprises](https://knowledge.insead.edu/economics-finance/universal-basic-income-lessons-failed-experiment) tels que Bill Gates, Mark Zuckerberg et Elon Musk, ont tous suggéré que, dans un avenir proche, une forme [revenu de base universel](https://www.bbc.com/news/articles/cnd607ekl99o) deviendrait souhaitable ou nécessaire. ### **L'absurdité du recrutement à l'ère numérique** Mais avant d'être confronté aux challenges de l'IA générative sur son lieu de travail. Il faut déjà se faire embaucher. Et l'IA joue un rôle fondamental dans le processus du recrutement pour les employeurs et de la recherche d'emploi pour les candidats. L'intelligence artificielle promet d'améliorer l'efficacité et l'équité du recrutement, mais à quel prix? Le contact humain disparaît, remplacé par des entretiens d'embauche avec des robots. * Les demandeurs d'emploi utilisent désormais l'intelligence artificielle pour rédiger lettres de motivation et CV, et emploient des outils comme [LazyApply](https://lazyapply.com/) pour postuler en masse et de manière automatisée à des milliers d'offres sur les plateformes d'emploi.  * De leur côté, les entreprises utilisent des outils d'IA tels que [Salesforce](https://www.salesforce.com/crm/) et [Workday](https://www.workday.com/) pour organiser, filtrer et évaluer cette avalanche de CV numériques. Ce qui était autrefois une interaction humaine s'est transformée en un affrontement «[bot vs bot](https://www.wsj.com/lifestyle/careers/ai-job-application-685f29f7)» (robot contre robot), transformant le processus de recrutement en une joute absurde. ### **85 demandes d'emploi et pas âme qui réponde** *«J'ai fait 85 demandes d'emploi et je n'ai toujours pas parlé à un être humain.»* C'est le témoignage de Kai, un étudiant en économie, [dans le quotidien britannique The ](https://www.telegraph.co.uk/money/jobs/i-was-interviewed-for-job-by-robot/)*[Telegraph](https://www.telegraph.co.uk/money/jobs/i-was-interviewed-for-job-by-robot/)*, qui cherche à travailler dans la banque après un master en économie dans une prestigieuse université. Au cours de ces entretiens, chacune de ses réponses a été disséquée par des algorithmes. Pour les RH, la possibilité de filtrer par l'IA représente un gain de temps considérable, offrant aux deux parties la possibilité d'entamer la séance à n’importe quel moment de la journée. Mais pour les candidats, le processus devient de plus en plus impersonnel et stérile, rendant l'obtention d'un emploi une épreuve de plus en plus difficile. ### **L’humain reste un enjeu** Heureusement, toutes les entreprises ne recrutent pas par bots interposés. [Enova Consulting](https://www.enova-group.ch/), une société suisse de conseil en IT spécialisée dans la stratégie numérique, positionne des experts aux compétences très spécifiques dans des entreprises recherchant des candidats pour des mandats de moyenne ou longue durée. L'essentiel du travail des recruteurs et des business manager d'Enova consiste à trouver ces perles rares et à suivre leur évolution auprès de leurs clients. Le recrutement se fait après avoir examiné entre 10 et 300 CV selon le poste à pourvoir, avec des entretiens en personne ou par Teams, mais toujours réalisés par des humains.  Selon Jeremy Leclerc, fondateur d'Enova, *«les entreprises valorisent toujours l'aspect humain et les valeurs personnelles de leurs collaborateurs actuels et potentiels, bien au-delà des compétences techniques seules. Les bots actuels ne peuvent pas encore appréhender ces nuances qui varient significativement d'une entreprise à l'autre, voire d'un secteur à un autre».* En fin de compte, le défi réside dans la capacité à trouver un équilibre entre l'efficacité accrue offerte par l'IA et le maintien de l'aspect humain dans le processus de recrutement. Cette convergence entre technologie et humanité sera cruciale pour naviguer avec succès à travers les bouleversements à venir sur le marché du travail.