Du dernier colt à la kalachnikov en passant par un fusil d’assaut français ou de la mauvaise contrefaçon turque, Mohammad vend des armes au noir depuis vingt-cinq ans. Avec une nouveauté: avec le marasme que connaît le Liban, offrir une arme de poing est devenu un cadeau de choix. Immersion exclusive dans un marché presque comme les autres.

Mohammad (prénom modifié) est un important vendeur d’armes sur le marché noir du Sud-Liban. Maître des échanges de faveurs et de bons procédés, il est une figure de ce business depuis près de 25 ans. «Mais je ne vends pas aux enfants, seulement à l’élite», revendique-t-il. Nous l’avons rencontré chez lui, dans le sud du pays, pour la première fois en novembre 2021, et une seconde en avril 2024. Il nous offre une plongée exclusive dans un milieu où il est rarissime qu’on prenne le risque de parler à la presse.

Lors de notre première rencontre fin 2021, les affaires de Mohammad sont florissantes: il estime que ses ventes ont augmenté de 80% sur les deux dernières années.«Les gens ont peur. La plupart de mes clients achètent une arme pour se protéger des vols», explique-t-il alors. La crise financière a frappé trois ans plus tôt, et le système bancaire n’a pas tenu le choc. Plus question de placer de l’argent en banque, tout le monde cache son cash à domicile – le tout dans un contexte de vide politique et de heurts entre communautés. «Je suis vraiment surpris du profil des nouveaux clients, poursuit-il. La plupart d’entre eux n’ont jamais possédé d’arme à feu. Des pères de famille ou des femmes. Je touche du bois, le business fonctionne vraiment très bien.»

De bonnes idées de cadeaux

Qui dit nouveaux clients dit nouveaux besoins. Les armes désormais en vogue sont des pistolets de petit calibre (9 ou 6 mm), destinés à se protéger plutôt qu’à mener des coups de force. «Regarde, celui-là serait parfait pour toi, vante Mohammad en nous tendant le petit pistolet chromé. Même si la balle est petite, tu peux tuer avec. C’est typiquement un cadeau qu’un homme offre à une femme. Elle peut facilement le transporter dans son sac à main.» Ces nouveaux clients sont aux antipodes de ceux qui s’adressaient à Mohammad avant la crise économique de 2019. «Avant, le M4 (carabine militaire américaine, ndlr.) ou le MP5 (pistolet-mitrailleur allemand, ndlr.) avaient énormément de succès. Certains clients, souvent des Libanais qui font du business en Afrique, dépensaient 12’000 dollars rien que pour la frime, ça fait partie de notre culture.»

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