Conçu en pleine crise de doute, par un ancien de la BBC cherchant à tirer les leçons du Brexit et de Trump, le média britannique Tortoise revendique de pratiquer un journalisme lent et approfondi, loin de l’écume de l’actualité. Son symbole: la tortue de terre, celle qui se dandine au sol en prenant son temps. Et les lecteurs adorent.

Kirat Assi a reçu le premier message Facebook fin 2010. Présentatrice sur une station de radio penjabie, cette Londonienne de 29 ans ne s'en est pas méfiée. L'auteur, Bobby, était un cardiologue respecté dans sa communauté sikhe. Mais au fil des huit prochaines années, il allait l'entraîner dans une relation amoureuse virtuelle faite de manipulation et de duperie, jurant tour à tour avoir subi une tentative d'assassinat au Kenya, être à l'article de la mort et être enrôlé dans un programme de protection de témoins.

Quand elle a fini par le confronter, la jeune femme a découvert le pot aux roses: «son» Bobby n'existait pas. L'une de ses cousines se faisait passer pour lui depuis huit ans.

C'est cette rocambolesque opération de «catfishing» que Tortoise Media, une jeune pousse britannique, s'est attelée à raconter dans un podcast en six épisodes intitulé «Sweet Bobby». Sortie à l'automne 2021, la série a connu un succès immédiat. Elle a été téléchargée plus de 12 millions de fois. Près de la moitié des auditeurs étaient localisés hors du Royaume-Uni, notamment aux Etats-Unis.

«Subitement, notre nom était sur toutes les lèvres», relate Alice Sandelson, en charge de la stratégie commerciale des produits audio de la start-up, assise dans l'un des canapés dépareillés de la rédaction de Tortoise, à deux pas d'Oxford Street, au centre de Londres. «Pour nous, il y a clairement un avant et un après “Sweet Bobby”.»

AliceS.jpg
Alice Sandelson, chargée de stratégie commerciale de Tortoise. | Tortoise, courtoisie

Sous l’égide de la tortue

Tortoise a vu le jour en avril 2019, sous la houlette de James Harding. Cet ancien du Financial Times et du Times a dirigé jusqu'en 2017 la branche actualités de la BBC, avec quelque 2000 journalistes sous ses ordres. «Il était en charge de l'actu brûlante et de l'information en continu», raconte Emma Sullivan, la directrice de Tortoise Media. Les médias traditionnels étaient alors engagés dans une intense période de remise en question: le Brexit et l'élection de Donald Trump, deux évènements historiques majeurs, leur étaient notoirement passés sous le nez.

James Harding s'est mis à réfléchir à une autre façon de raconter l'actualité, qui s’éloignerait de la hard news. L'objectif était «moins de s'intéresser à ce qui se passe qu'aux phénomènes ayant provoqué la survenue d'un évènement, aux tendances lourdes façonnant notre société», détaille Emma Sullivan. De s'éloigner du «bruit» engendré par le flux constant de l'information, souvent présenté de façon partielle et peu lisible. Il baptise ce courant «slow journalism», journalisme lent, et se choisit un animal-totem ad hoc. Tortoise – dont le nom signifie «tortue de terre» – est sur le point de naître.

tortoise Slow News.jpg
Un des slogans de Tortoise. | Tortoise, courtoisie

Voir plus