Fondé en 2000, le journal en ligne ukrainien Ukrainska Pravda soutient les aspirations pro-européennes et démocratiques du pays. Malgré la guerre et l'unité requise contre l'ennemi russe, le titre s'enorgueillit de ne faire aucune concession, et continue de publier des enquêtes parfois très gênantes pour le pouvoir en place. Rencontre avec une bande d'incorruptibles.

Une tête passe dans l’encadrure de la porte pour annoncer la nouvelle. Deux adjoints du bras droit de Zelensky, le tout-puissant Andrii Yermak, viennent d’être brutalement limogés et remplacés. Dans la petite salle de réunion, qui peine à contenir une grande table ronde et une bibliothèque basse débordant de livres, c’est l’effervescence. «Il faut que je passe des coups de fil», pense à voix haute Roman Kravets, reporter politique. Son collègue du service enquêtes, Mykhailo Tkach, sourit en se balançant en arrière, mains sur la tête. La rédactrice en chef Sevgil Musayeva consulte immédiatement le smartphone qu’elle ne quitte jamais des mains.

Ces trois trentenaires sont les piliers de la rédaction d’Ukrainska Pravda, un média respecté par le public et craint par le pouvoir. Il a été créé en avril 2000 par les journalistes d’opposition Olena Prytula et Georgiy Gongadze. Ce dernier, un Ukrainien d’origine géorgienne, sera retrouvé quelques mois plus tard dans un bois à 70 kilomètres de Kyiv, décapité. Des enregistrements sonores émergent, qui accablent le président de l’époque, Leonid Koutchma. Le scandale, dit des cassettes, sera retentissant.

«UP» est l’un des titres les plus influents du pays. Il caracole en tête des classements établis par l’Institut de l’information de masse (IMI), une ONG ukrainienne qui étudie la qualité de la production journalistique. «Ukrainska Pravda respecte les standards professionnels les plus hauts, et a démontré son indépendance malgré les périodes d’instabilité politiques que nous avons connues avant la guerre. Nous faisons de la critique des médias, mais on doit reconnaître qu’Ukrainska Pravda est l’un des meilleurs», loue Oksana Romaniuk, directrice de l’IMI.

Incorruptible en chef

Depuis bientôt dix ans, Sevgil Musayeva préside aux destinées éditoriales de la rédaction, qui compte aujourd’hui 150 journalistes. Lorsqu’elle a été nommée rédactrice en chef, la jeune femme avait 26 ans et déjà une réputation d’incorruptible. Elle venait de quitter son précédent poste chez Forbes Ukraine, à cause de son rachat par un oligarque. L’homme en question, un homme d’affaires du nom de Serhiy Kourtchenko, avait été la cible d’une longue enquête de Sevgil Musayeva parue quelques mois plus tôt. Convaincue qu’il s’agissait là de tout sauf d’un hasard, la jeune journaliste a préféré claquer la porte tout de go.

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