Dans ce quatrième épisode, notre journaliste se lamente de la tournure analytique des lectures que lui impose son département de philosophie. Jack, son fournisseur d’Aderall, l’emmène à une fête de campus où l’on boit de la bière dans des gobelets rouges alors que la belle Georgia lui propose des lignes de cocaïne dont les effets s’avèrent plutôt décevants.

C’est jeudi. Je suis dans ma chambre, le dos courbé sur un livre tout à fait asphyxiant qui s’appelle L’Intention et qui traite de la nature des prédictions de nos intentions. La porte de ma chambre s’ouvre. C’est Jack. Sa dégaine est différente. Il est apprêté d’un t-shirt tout blanc qui m’a presque l’air propre, ou neuf. Et, à la place de son training de sport, il porte un pantalon ultra-large qui s’arrête en dessous des fesses et exhibe la moitié de son caleçon. Ne s'enquérant pas de savoir s’il me dérange, il se dirige machinalement vers mon lit, s’y vautre et me balance un «what’s up, dude?».

Retrouvez Jack et ses pastilles bleues dans le 2e épisode

Une odeur d’eau de cologne se propage dans la pièce. Je renifle puis contemple les motifs imprimés sur son caleçon qui dépasse.

Je lui montre la couverture de mon livre. Ce faisant, je réalise que ce que j’aimerais bien faire, là tout de suite et maintenant, c’est déverser la frustration que j’éprouve face au département de philosophie de mon université, qui ne glorifie que ce qui est parfaitement illisible et indigeste, qui lapide tous les auteurs qui comptent et qui, par sadisme, nous impose des textes aussi mortels que ceux de Gertrude Elizabeth Anscombe. Gertrude Elizabeth Anscombe, qui militait publiquement contre le droit à l’avortement, condamnait l’homosexualité et qui était en faveur de la peine de mort, fait partie des rares auteurs qui n’ont pas été éjectés du département de philosophie de mon université — et ce, justement parce que ses textes s’inscrivent dans la mouvance analytique. La philosophie analytique se compose, en somme, de pages et de pages d’interrogation tout à fait vaines sur la valeur de A en lien avec la valeur de B et la valeur de B en lien avec la valeur de A. Si A fait B et si C fait A, est-ce que A et C font B ou est-ce Z et Y qui font W? Et si W fait Y, C fait-il B?

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Oui, si je ne cherchais pas constamment à plaire à tout le monde, je partagerais mes peines avec Jack. Mais Jack, qui est du type alerte et streetsmart, ne me laisse même pas la possibilité d’y songer. Un rapide coup d'œil sur la couverture de l’Intention lui a suffi. Il n’a pas eu besoin de vérifier ou de faire semblant de s’y intéresser car il a tout de suite su ce que d’autres prennent une vie entière à réaliser, à savoir que rien de vivant ni de positif ne pouvait possiblement sortir de l’ouvrage que je tenais entre les mains.

Il me demande si je veux hang out.

Me voyant hésitante, il insiste.

J’enfile mon manteau et le suis dans les escaliers. Il me dit qu’il trouve ça mignon, que je lise des livres. Lui ne lit jamais. Il rédige ses dissertations en paraphrasant les contenus d’un site internet qui s’appelle SparkNotes. Il n’en revient pas que je ne connaisse pas SparkNotes.

Je lui demande à quoi ça sert de porter des pantalons sous le fessier qui font trébucher.

Sur le chemin, on croise Georgia qui me jette un regard inquisiteur. Elle se demande sûrement ce que la petite Frenchie fabrique avec un type aussi naze que Jack. Georgia fait partie des plus belles filles du campus et ses amis sont ces gens cools qui se rendent à des fêtes à Manhattan, vont à des concerts et dirigent une radio estudiantine qui diffuse des morceaux ultra-recherchés que seuls les vrais connaisseurs sont en mesure d’apprécier. Notre amitié ne fait que débuter et je la dois à Léo, son ex petit copain qui, selon les dires de Georgia, aurait des vues sur moi. Afin de contrôler l’affaire, Georgia m’a friendé, comme on dit. Elle s’est liée d’amitié avec l’ennemie et pour le moment, je dois dire que son plan marche plutôt bien.

J'acquiesce. Jack qui se trouve à mes côtés, retient sa respiration et quelques mètres plus loin, s’exclame:

Je sors mon paquet de clopes et lui en propose une. Il décline.

Je lui crache une bouffée en plein visage. Il se marre, me saisit par la taille et me propulse sur le bord de la route. Je ris. Je ris tout en m’étonnant de rire. Je ne comprends pas pourquoi ce Jack m’amuse ni pourquoi je me sens si bien en sa compagnie. Si ça se trouve, c’est vraiment lui le mec le plus smart du campus. Il ne lit pas, affirme ouvertement que son but dans la vie c’est de se muscler et de faire fortune, et qui nous dit que ce n’est pas lui le vrai philosophe dans cette histoire? Pourquoi lire du Gertrude Elizabeth Anscombe lorsque l’on peut rêver de faire du ski-hélico, de chasser le Big Five et de boire des binches en matant le superbowl?

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