Il est interdit de critiquer les noisettes là où leur culture fait des ravages. Il est aussi interdit de critiquer le Nutella, symbole de la prospérité italienne d'après-guerre, qui a sauvé de la pauvreté une grande partie du Piémont. Ses inventeurs, Pietro et Michele Ferrero, y sont vénérés comme des dieux.

Résumé de l’épisode précédent: Pendant des décennies, les paysans du nord de Rome ont arrosé sans scrupules leurs noisetiers de pesticides pour empêcher les punaises de gâter les récoltes, afin de satisfaire les critères de Ferrero. Le village de l’autrice de cette enquête est particulièrement touché. Tant pis si les touristes sortaient couverts de pustules du lac de Vico, on disait que c’était à cause des larves tombées des arbres.

«Riserva naturale Lago di Vico.» Voilà ce qui est encore écrit de manière rassurante sur les panneaux au bord du lac. Une réserve naturelle. Ici, il ne peut rien nous arriver, pensions-nous, et nous nous sommes laissés flotter avec délice pendant des années au milieu de la verdure. Les bateaux à moteur étaient interdits sur le lac, les rives étaient inconstructibles et il n'y avait pas d'arrivée d'eaux usées des villages voisins, le lac était trop haut pour cela. Une eau de baignade paradisiaque, à seulement dix kilomètres du village, avec de petites plages à l'ombre de grands arbres, sous lesquels on pouvait se réfugier pour échapper au soleil brûlant.

Le maire n'a pas répondu à nos questions. Personne ici n'aime répondre à ce genre de questions. Je n'oublierai jamais l'éclair de colère dans les yeux de l'épicier récemment retraité, que je connaissais depuis des décennies, un homme qui avait toujours été un modèle de pondération derrière son comptoir. Aucun client grincheux ne l'avait jamais fait sortir de ses gonds et, pendant de nombreuses années, on avait fait appel à ses conseils avisés dans d'innombrables petits conflits villageois.

Mais lorsque j'ai commencé à parler des quantités énormes de poison dans lesquelles nous suffoquions lentement mais sûrement ici, j'ai soudain eu un autre homme en face de moi.

La colère de l’épicier

«Pour moi, les gens qui parlent ainsi sont des criminels, dit-il de sa voix traînante, avec un petit sourire pâle. Tout va bien ici. Il y a eu la bombe atomique sur Hiroshima, il y a eu Tchernobyl, nous avons recouvert nos toits de plaques d'amiante pendant des années, tout le Trentin n'est qu'un dépotoir toxique à cause de la culture intensive de fruits. Et maintenant, ce seraient tout à coup nos magnifiques noisettes qui poseraient problème? Nos noisettes qui poussent ici depuis toujours et qui, après des années de labeur, rapportent enfin un peu, grâce aux contrats avec la Ferrero? Va-t'en!»

Je l'ai suivi des yeux, la bouche ouverte, et depuis, nous ne nous saluons plus. Je savais qu'il cultivait aussi des noisettes, mais j'avais cru que c'était un hobby.

À 600 kilomètres au nord d’ici, dans les contreforts des Alpes italiennes, se trouve un village semblable au nôtre: Dogliani. Il est lui aussi situé à environ 300 mètres d'altitude, il ne compte que quelques milliers d'habitants. Et là aussi, on connaît la noisette depuis très longtemps, car dans les douces collines des Langhe, dans le Piémont, qui font partie d'un paysage classé au patrimoine mondial de l'Unesco, les conditions sont idéales pour la culture du raisin et des noisettes.

Le paradis du chocolat

Il y a autre chose qui fait de Dogliani un village spécial: c’est là que Pietro Ferrero est né, en 1898. Le fondateur de l'actuelle troisième plus grande multinationale de confiserie au monde était un fils de paysan doté d'un talent particulier: il faisait des merveilles avec du chocolat. Il a commencé à le faire dans le bar-café-pâtisserie qu'il a ouvert en 1923 à Dogliani. L’enseigne existe encore aujourd'hui, mais semble un peu perdue sous les arcades de la rue principale, qui devait être autrefois très animée. Les chaises en aluminium devant le bâtiment sont occupées par des hommes avec des canettes de bière à la main, mais à l'intérieur, les boiseries, le parquet et le comptoir en marbre montrent bien que ce lieu a dû être un paradis du chocolat.

770 millions de pots de Nutella dévorés par an

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