L’émission en ligne «Focus Entreprises» de BFM Business en France accueille de nombreuses PME suisses. Qui sont approchées avec un certain flou quant à la nature de leur intervention en plateau, en réalité un partenariat nécessitant de payer environ 6000 euros
Six mille euros pour six minutes d’antenne, en ligne. C’est ce qu’a payé Etienne*, directeur général d’une PME romande active dans la traçabilité et les nouvelles technologies. Contacté par e-mail il y a environ deux ans, il apprend que son entreprise a été repérée dans un salon et sélectionnée pour participer à une émission sur BFM Business. Le mail est signé par un collaborateur d’OpenMedias. BFM Business, part du groupe RMC BFM, se targue d’être la première chaîne d’information économique et financière de France. Quant à BFMTV, elle lutte pour rester, face à CNews, la première chaîne d’info en continu du pays.
Un appel est fixé. Pendant une demi-heure, «la personne me dit que c’est notre entreprise qu’on veut, m’assure qu’ils mettent en lumière une entreprise tous les six mois dans notre secteur, raconte Etienne. Elle me donne des statistiques mirobolantes sur la visibilité qu’offre cette émission, qu’elle pourra m’envoyer à la suite de notre passage. On m’a vendu du rêve.»
En fin d’appel, on lui précise qu'«une petite participation financière est requise. Pour les grandes entreprises, on demande autour de 42 000 euros (39 991 francs), lui dit-on. Mais comme vous êtes un petit acteur et qu’on a vraiment envie de vous pousser, ce sera 6000 (5713 francs).»
Etienne prend un moment pour réfléchir à ce qui est enfin annoncé clairement comme un partenariat. «Je ne pensais pas devoir sortir une telle somme, importante pour une PME. Mais on a pesé le pour et le contre et une vidéo promotionnelle, ça coûte souvent 3000-4000 francs.» Le dirigeant accepte donc.
Sur place, l’entretien se déroule professionnellement, estime Etienne, qui a pu discuter des questions. Il est satisfait de la façon dont il peut réutiliser la vidéo sur son site internet et sur LinkedIn. «Mais la diffusion n’a amené aucun trafic supplémentaire sur notre site.»
En fin de compte, l’expérience laisse à Etienne un goût un peu amer. «Il n’y avait pas qu’une seule émission tous les six mois pour notre secteur, nous n’avons jamais reçu les statistiques promises et il faudrait dire d’emblée le prix.»
Etienne n’est pas la seule PME romande invitée dans l’émission partenaire Focus Entreprises, diffusée uniquement en ligne, décrite ainsi: «OpenMedias et BFMTV associent leurs forces afin de présenter des success-stories françaises. […] Vous découvrirez des interviews de dirigeants qui vous feront découvrir leur passion et le secteur d’activité dans lequel ils évoluent.» Le contenu est balisé «partenaire» sur le site et il est précisé en bas de page que la rédaction de BFM Business n’a pas participé à la réalisation de ce contenu. OpenMedias est une société indépendante spécialisée dans la mise en avant des entreprises et des acteurs économiques via des formats audiovisuels de qualité.
Mais au moment de la prise de contact avec les PME, qui n’ont pas forcément une grande habitude des médias, selon les témoignages recueillis, cette agence entretient une ambiguïté sur la nature de l’intervention, en ne précisant pas tout de suite son caractère publicitaire.
«Ils produisent à la chaîne et ils aiment visiblement bien les Suisses, nous n’étions pas les seuls dans la salle d’attente», s’amuse Guy Constantin, directeur et fondateur de Textocreativ, implantée en Valais, à Lausanne et à Zurich, cinq collaborateurs et vingt en free-lance. Lui aussi est passé dans l’émission pour parler de sa société experte dans le domaine de la traduction.
«Par e-mail, la dimension de partenariat n’était pas claire et l’approche peut faire penser à du «pigeonnage», mais connaissant moi-même le domaine de la publicité, il ne me paraissait pas possible que ma petite agence soit contactée sans que cela soit payant.» Au téléphone, il demande: ce sera 5980 euros, comprenant l’interview en plateau, un petit article avec des liens qui accompagnent la vidéo, une visibilité en page d’accueil de l’émission et la possibilité de réutiliser ces éléments pour sa propre communication.
Guy Constantin accepte finalement, «pour l’expérience d’un plateau TV et pour pouvoir l’utiliser pour ma communication». Il garde un bon souvenir de l’interview et de sa préparation, «c’était très chaleureux et professionnel», salue-t-il. Mais précise: «C’était 2500 euros de trop. Si les retours que j’ai eus à la suite du post LinkedIn ont été très positifs, ça ne m’a pas amené un seul client en plus.»
Le constat est similaire pour Franz*, un autre patron de PME suisse qui a payé le même prix, mentionné tardivement. «Produire une vidéo coûte plusieurs milliers de francs. Ça nous semblait intéressant d’avoir accès au marché français. Les chiffres présentés pour le trafic sur le portail sont aussi très impressionnants, même s’il ne faut pas leur accorder trop d’importance.»
Il lui semblait évident que l’intervention serait payante, mais pas autant. «Le suivi est professionnel, ce n’est pas une arnaque. Mais c’est un produit plutôt cher: en surface, la proposition TV «brille». Et il y a aussi une forme de pression: on nous dit qu’il n’y a que quelques cases horaires par branche.»
Le bilan? «Moyen, répond le directeur. Nous avons pu utiliser la vidéo pour faire de la communication, mais nous n’avons eu aucune demande en lien avec ce passage.»
Il faut savoir à quoi s’attendre, note pour sa part Céline Frey, directrice générale de Firstcaution, compagnie d’assurance spécialisée dans la garantie de loyer, à Nyon, Zurich, Bellinzone, 62 collaborateurs. «C’était pour nous l’occasion de créer du contenu de qualité, et la réalisation d’une telle vidéo s’est avérée avantageuse, commente la directrice, qui a payé 5000 euros. C’était très professionnel, et nous avons pu nous exprimer sur notre produit. J’ai eu de très bons retours, même si au niveau des affaires l’impact est difficilement quantifiable.»
Si Céline Frey était très au clair sur la dimension de partenariat, c’est aussi que la directrice a reçu beaucoup de requêtes, avant et après BFMTV, en vue d’interventions «partenariats» similaires sur d’autres médias français.
Et qu’en est-il pour les PME françaises? Folco Canonico, directeur général de Cairn Sport, société française d’équipements de protection de 35 collaborateurs, également passée dans Focus Entreprises, se souvient d’une présentation séduisante. Avec une mention du coût qui n’arrive que tardivement: «Ça m’a un peu agacé. Le prix devrait être mentionné dès le départ.» Il hésite et négocie la somme, 6000 euros là aussi, à 5500, mais accepte, et salue lui aussi un procédé par la suite «très professionnel».
Ces PME ont ensuite été contactées pour une participation à d’autres émissions, sur BFM Business de nouveau, ou encore sur Forbes.fr, CNews, Lefigaro.fr. Pour des sommes de 6480 euros, de 8800 euros, détaille Etienne, e-mails à l’appui. Et parfois avec une certaine insistance: «Quand j’ai dit que je n’avais pas le budget, on m’a suggéré d’entamer celui de l’année prochaine.»
OpenMedias fait-elle suivre à d’autres agences le contact des PME? «La confidentialité et la protection des données de nos clients sont des priorités absolues. OpenMedias ne vend ni ne partage les contacts des entreprises avec des tiers», assure son service communication.
Pourquoi démarcher des entreprises suisses? «Notre mission est de mettre en lumière des entreprises qui portent des projets innovants et ont des histoires inspirantes à raconter, répond OpenMedias. Les PME suisses, réputées pour leur dynamisme et leur excellence, s’intègrent naturellement dans cette démarche.»
L’approche floue entre journalisme et communication de la part d’OpenMedias ne pose-t-elle pas problème? OpenMedias réfute: «Nous précisons systématiquement aux entreprises qu’il s’agit d’un contenu de valorisation et non d’un reportage journalistique indépendant. L’information concernant les conditions de participation, y compris les aspects financiers, est communiquée de manière claire lors du premier échange avec l’entreprise.»
Les mentions d’une «sélection», de créneaux «inédits» et des chiffres présentés ont semblé mensongères à certaines PME. «Il est vrai que nous identifions des entreprises pertinentes pour chaque édition, ce qui peut donner l’impression d’une sélection. Quant aux chiffres avancés, ils sont basés sur des données vérifiables (l’audience du média)», défend OpenMedias.
Quant aux tarifs, ils sont déterminés en fonction de plusieurs critères, dont le format et les options de diffusion. «Nous appliquons des grilles tarifaires adaptées aux besoins et aux marchés, tout en garantissant une équité entre les entreprises suisses, françaises et européennes», précise OpenMedias.
Du côté du service de communication de BFM, on ne fait pas de commentaire, tout en rappelant que les contenus de publireportage comportent bien des mentions «partenaires».
Reste que la nature de l’intervention, journalisme ou partenariat, reste souvent trouble dans les termes choisis lorsque les entreprises sont démarchées pour ce type de format. Comme le montre aussi un e-mail envoyé pour une émission partenaire d’un autre grand média français: «J’ai essayé de vous joindre dans le cadre de la préparation de la prochaine émission. J’aurais aimé vous proposer d’y participer en tant qu’intervenant expert.» Un message tel que pourrait l’écrire… un journaliste.
* Prénoms d’emprunt