Jamais les Palestiniens de Gaza n’avaient osé manifester en si grand nombre contre la guerre menée par Israël et contre le leadership du Hamas. Leur mobilisation sera manipulée, cyniquement. Elle appelle pourtant au sursaut de notre humanité

Depuis le massacre du 7-Octobre, des manifestations en faveur d’Israël ou des Palestiniens ont eu lieu dans le monde entier. Qui, en effet, peut aujourd’hui se prétendre indifférent au «conflit israélo-palestinien» après les actes criminels commis par le Hamas et l’offensive meurtrière menée par les Israéliens sur Gaza? Jusqu’à mardi, il existait pourtant un lieu où dans l’urgence de la survie, défiler dans les rues pour protester contre les violences était presque un impensé: Gaza même. Dire non à la guerre, c’était lui survivre, jour après jour, heure après heure, dans une résilience et une créativité admirables.

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Aujourd’hui, cette incroyable résistance, celle de civils désarmés, a pourtant atteint ses ultimes limites. Les Palestiniens qui habitent Gaza, ces enfants, ces femmes et ces hommes qui devraient avoir le droit d’aimer, de construire, d’espérer, de rire comme vous et moi, n’ont plus de forces. Ils les ont perdues en enterrant ceux qu’ils aimaient, lorsqu’ils parvenaient à retrouver leurs corps dans les gravats. Ils les ont perdues à fuir vainement les bombes, coincés dans un territoire minuscule qui a transformé leurs existences en cauchemars. Ils les ont perdues dans la perte de notre humanité à nous tous, incapables de forcer une issue pour qu’Israël vive en sécurité, et que les Palestiniens vivent, tout simplement.

Ils sont encore debout

Ces enfants, ces femmes et ces hommes ont perdu leurs forces. Mais ils sont encore debout; ils n’ont pas perdu leur dignité. Aujourd’hui, elle leur commande de dire non à la guerre, en pleine guerre; et de dire non à l’atroce cynisme de leurs dirigeants, dans un territoire privé de liberté politique depuis quasi vingt ans. Alors bien sûr on dira, ici en Suisse et partout ailleurs, qu’ils sont «manipulés»; c’est ce qu’on dit quand on veut délégitimer les Palestiniens, c’est-à-dire presque tout le temps. Les pro-palestiniens les plus radicaux les diront manipulés par Israël quand ils s’opposent au Hamas. Et les pro-israéliens les plus virulents les diront «manipulés» par le Hamas quand ils s’opposent à la guerre. Les dire manipulés, c’est les délégitimer, une forme d’humiliation qui marque toute leur histoire.

Mais aujourd’hui, il faut l’entendre, cette foule si précaire de survivants qui brandit des pancartes sur lesquelles on lit: «Nous ne voulons pas mourir». Parce que leur mobilisation représente la forme ultime de dénonciation des guerres qui menacent notre époque. Leur courage appelle notre humanité.