Réunis en Assemblée générale mercredi, les détenteurs d’actions de la multinationale spécialisée dans la certification et le contrôle ont largement validé son projet de déménagement. La réunion a été marquée par une forte émotion

Il est 16 h 41 et les actionnaires viennent de voter. Ils se sont prononcés à 88,99% pour le transfert du siège de SGS de Genève à Baar, dans le canton de Zoug. Cela fait 2 h 30 que l’Assemblée générale de la multinationale, spécialisée dans la certification et le contrôle, a débuté à l’hôtel Intercontinental de Genève. Plus de 200 personnes sont réunies dans une vaste salle carrée du cinq étoiles. Des écrans mettent en évidence le slogan du groupe - «When you need to be sure» («Lorsque vous avez besoin d’être sûr»).

La réunion a été formelle, faite de votes, surtout financiers, de discours et de questions. Mais elle a surtout été marquée par une grosse émotion, sinon de la colère. Quitter Genève? La majorité de la salle ne semble pas comprendre pourquoi. Il a été question de la longue et riche histoire de l’entreprise au bout du Léman, de la cohésion de la Suisse même. La salle, au vu des applaudissements et des interventions, paraissait majoritairement acquise au maintien de siège du groupe à Genève. Des sifflements ponctuent d’ailleurs les échanges.

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Mais la salle n’est pas représentative de l’actionnariat d’un groupe globalisé qui emploie près de 100 000 personnes dans le monde. Et ce malgré le passeport genevois de SGS, qui s’est installée dans le canton il y a 110 ans, pendant la Première Guerre mondiale.

Une histoire retracée et incarnée par Elisabeth Salina Amorini, ancienne directrice du groupe. Celle qui est aussi la petite-fille de Jacques Salmanowitz, l’homme qui avait installé la société sur les bords du Léman en 1915, fait part de son incompréhension face au projet de délocalisation du siège de l’entreprise. Une intervention qui suscite des applaudissements nourris.

Tout comme celles de Vincent Subilia, le directeur Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), de l’ancien conseiller d’Etat François Longchamp et d’ex-employés qui tous manifestent leur féroce opposition à un déménagement.

Ces prises de parole resteront vaines. Maintes fois durant l’assemblée, Calvin Grieder, le président du Conseil d’administration de SGS, répète que la société a tenté de discuter avec les autorités cantonales pour qu’elles lui fassent une bonne offre, mais elles se seraient montrées suffisantes.

«Cela n’a pas été une décision facile», a-t-il dit en début d’assemblée. «Elle a été nourrie avant l’arrivée de Géraldine Picaud à la direction générale de l’entreprise il y a un an.» Elue à 85% au Conseil d’administration de l’entreprise, cette dernière a présenté les résultats du groupe, décrits comme «excellents» et «records». En 2024, c’est en effet un chiffre d’affaires historique de 6,8 milliards de dollars qui a été publié.

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La genèse du projet

Les premières réflexions sérieuses en vue d’un déménagement datent de juin 202. Durant les mois qui ont suivi, plusieurs scénarios ont été étudiés: la possibilité de n’occuper qu’un ou deux étages du siège genevois du groupe, une location de cet immeuble, ou des déménagements ailleurs en Suisse. Des discussions avec plusieurs cantons ont lieu dans ce cadre, notamment Lucerne, Saint-Gall, Zurich et le canton de Vaud. Mais c’est assez vite le scénario d’un déménagement en terres zougoises qui s’impose aux yeux de la direction. Fin décembre, celle-ci présente son projet au conseil d’administration de l’entreprise qui donne son feu vert à l’unanimité. Le quartier général genevois est mis en vente.

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Au sein de SGS, le dossier reste confidentiel, même si des rumeurs commencent à se propager au sein de l’entreprise et parmi les équipes de la promotion économique du canton, mises au courant. Mais c’est une fuite dans Le Temps, le 3 février, qui rend publique les intentions de la direction. Celle-ci est bousculée, elle n’a pas pu se préparer pour en parler aux effectifs - 172 personnes travaillent à la Rue des Alpes.

Le 26 février, un mois avant l’assemblée générale, le groupe retient le dossier zougois. Il cible un bureau de deux étages à Baar, une commune de la banlieue zougoise (où siège notamment Glencore).

Pourquoi Zoug? La question occupe le landerneau politico-médiatique genevois depuis et génère de nombreuses spéculations. En dehors des instances dirigeantes de l’entreprise, personne ne semble comprendre. Les motivations fiscales paraissent peu plausibles, la réforme de l’OCDE ayant en théorie mis tous les cantons au même régime. La proximité avec Kloten, un aéroport plus important que Cointrin, vantée par la direction? Personne ne semble y croire. Des attaques personnelles se glissent dans les réflexions - Géraldine Picaud voudrait se rapprocher de sa famille, domiciliée à Zoug. L’entreprise réfute en bloc.

Les équipes sont informées du projet le 3 mars et une lettre de la direction leur est envoyée dans la foulée. Géraldine Picaud les informe que sur les 172 employés, environ 130 seraient relocalisés à Baar et une quarantaine resteraient à Genève dans un bureau à trouver. Un abonnement général est proposé à ceux qui voudraient penduler et une présence à Baar de 40% est requise (les déplacements professionnels ne seraient pas considérés comme du télétravail).

En cas de refus, «SGS n’aura peut-être pas d’autre choix que de mettre fin à l’emploi», peut-on lire dans ce courrier. Des réunions pour évaluer les dossiers au cas par cas seront agendées pour avril-mai. Les départs des employés n’acceptant pas ces conditions doivent être effectifs avant la fin décembre.

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«Proposer un tel déménagement un an après être arrivé à la tête de l’entreprise, c’est beaucoup trop tôt! Après un an, je ne connaissais encore rien de l’entreprise», s’est par exemple indigné André Chargueraud auprès du Temps à la mi-mars. Aujourd’hui âgé de cent ans, l’homme a dirigé l’entreprise il y a une quarantaine d’années,

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Le 17 mars, dans une lettre aux actionnaires, la direction indique que le groupe économiserait 75% des coûts du siège si le déménagement est validé. Durant l’assemblée mercredi, Géraldine Picaud a affirmé que l’opération engendrerait des économies annuelles de 5 à 10 millions de francs. Des cadres de SGS ont confirmé au Temps les dires de Calvin Grieder: l’offre et l’attitude du canton n’ont pas été à la hauteur, malgré les nombreuses réactions dans la presse.