OPINION. Les applications mobiles, la banque en ligne et les retraits d’argent en un clic ont aussi contribué à la chute de Credit Suisse, écrivent François-Valéry Lecomte, CEO de Belfius Asset Management, et Charles Cuvelliez, enseignant à l’Université libre de Bruxelles et Chief Information Security Officer à Belfius
Mars 2023: jamais les comptes d’une banque, la SVB (Silicon Valley Bank), ne s’étaient vidés aussi vite, de 20 à 30% en dépôts par jour, soit de deux à trois fois plus rapidement que lors de précédentes paniques bancaires. Les autres banques américaines qui suivirent la SVB, victimes de retraits massifs, par effet domino, avaient deux caractéristiques en commun: les dépôts des clients ne disposaient pas tous d’une garantie bancaire qui assure leur remboursement en cas de faillite et leurs titulaires avaient le même profil (clients riches ou entrepreneurs, sociétés technologiques…).
La SVB avait connu juste avant, le 9 mars sur Twitter, un pic de messagescitant une rumeur de difficultés. C’est ensuite leur répétition (reposts et likes) sur les médias sociaux qui les a rendus crédibles. De fait, si vous lisez que vos pairs, dans une communauté branchée dont vous êtes membre, retirent leur argent, allez-vous rester de marbre? Les entreprises, clientes de la banque, avaient d’ailleurs à leur disposition d’autres sources d’information plus sérieuses (valeur de l’action, prix des obligations émises par ces dernières) pour prendre peur. C’est ce qui affecta tant la SVB que Credit Suisse. Car tant les actions que les obligations émises par elles baissèrent, un facteur tangible mais alimenté par les rumeurs.
Bien que Credit Suisse n’eût aucun lien avec la SVB, le cours de son action chuta fortement par intermittence au même moment. La pression se renforça de plus belle lorsque le président de la Saudi National Bank annonça, le 15 mars, que tout nouvel investissement dans Credit Suisse était exclu, pour des raisons de gouvernance. S’en sont suivis des retraits tout aussi massifs que la SVB au point que Credit Suisse dut demander des liquidités à la BNS. On connaît la suite de l’histoire…
Les progrès technologiques ont facilité la vitesse et les volumes des bank runs. Pour la première fois, les outils à disposition des entreprises pour gérer leurs comptes ont été utilisés… pour les vider. Les mœurs ont de toute façon changé: il est habituel pour les entreprises de retirer ou déposer de grands montants. Elles le font sans complexe.
Il faut aussi craindre, a récemment dit le Financial Stability Board (FSB), qui n’est pas tranquille, les plateformes de courtage de dépôts qui offrent un accès plus facile aux banques: elles permettent de passer en un clic d’un établissement à l’autre (selon le taux d’intérêt par ex.)…C’est une pratique saine puisque le client diversifie son risque (bancaire) mais c’est un risque pour les banques avec des dépôts moins stables. Avec les banques en ligne aussi, il y a moins de loyauté. Quand un meilleur taux d’intérêt est proposé par la concurrence, ce sont elles qui perdent le plus vite les dépôts de leurs clients qui vont ailleurs, vite fait.
L’IA, qui automatisera bientôt les processus de décision offerts aux particuliers pour leur faire choisir de meilleurs deals et d’autres innovations dans le monde des paiements (tokenisation, portefeuilles électroniques), va dans le même sens: offrir aux déposants la possibilité de migrer en un clic d’une banque à l’autre.
Il y a donc de nouveaux défis pour la supervision des risques de liquidités des banques; mais comment réagir plus vite? D’autres métriques de risques doivent être développées; l’une d’elles serait le profil diversifié des clients (et donc moins susceptibles d’un comportement moutonnier), la proportion de comptes sans garantie bancaire. Même l’observation des médias sociaux à la recherche de rumeurs virales pourrait devenir un indicateur de risques de liquidités! Avoir à disposition un week-end entier pour organiser proprement la liquidation d’une banque n’est plus une option. Un propos rassurant et compris dans un pays sera vite balayé par une panique qui persiste dans un autre.
Enfin, dit le FSB, si seules des banques ont été impactées en 2023, deux autres types d’acteurs sont susceptibles de tomber, en cas de taux d’intérêt qui montent (ce qui a déclenché la chute de la SVB sans en être la cause): les assureurs vie (quand les clients décident de liquider leur assurance vie, ce qui ne se fait pas en un clic non plus, c’est vrai) et les acteurs de l’immobilier. Leurs actifs sont illiquides, ils peuvent engranger des pertes théoriques qui font peur au quidam qui fuira, sans comprendre le côté virtuel de la perte. Les assureurs vie, en prenant soin à long terme des montants qui leur sont confiés, jouent un rôle crucial dans l’économie où leurs actifs sont au travail.
Deux ans après, on a compris ce qui s’était passé pour la SVB, Credit Suisse et consorts, mais il manque le passage à l’action: comprendre, c’est bien, éviter, c’est mieux.