ÉDITORIAL. Le changement de paradigme qui a lieu sur la scène géopolitique rappelle combien un Etat doit limiter sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur dans la mesure du possible. La décision de ne pas privatiser Beyond Gravity va dans ce sens
C’est une décision qui témoigne d’un bouleversement profond dans la manière d’appréhender les enjeux de souveraineté nationale. En imposant au Conseil fédéral de renoncer à privatiser totalement Beyond Gravity, la division spatiale de Ruag, le parlement fédéral a envoyé un signal fort. Qui pourrait se résumer ainsi: il est temps d’arrêter d’abandonner des participations dans des secteurs clés au sein d’un monde de plus en plus incertain. Le spatial en fait assurément partie.
Ces dernières décennies, les Etats occidentaux ont adopté une politique de désinvestissement massif dans de nombreux domaines, de l’énergie à la technologie. Le principe qui a guidé ces choix est simple: dans un monde globalisé, irrigué par les bienfaits du libre marché, la localisation de la production importe peu. Entre-temps, une pandémie et le retour de la guerre en Europe sont passés par là, soulignant à quel point le manque d’autonomie stratégique peut être dommageable.
Le récent désalignement des Etats-Unis avec l’Europe a fait l’effet d’une bombe. L’avenir de l’Alliance atlantique est incertain, et l’ordre du monde tel qu’il a été façonné depuis la Deuxième Guerre mondiale vacille dangereusement. De quoi tout remettre en question. La Suisse, petit pays de 9 millions d’habitants, est par nature dépendante de ses voisins. Le Conseil fédéral le rappelle sans cesse, avec raison. Mais elle possède aussi des savoir-faire et des compétences inestimables.
Dans un monde où la technologie a pris une place aussi essentielle, aucun Etat ne pourra jamais prétendre à une autonomie stratégique absolue. L’industrie des semi-conducteurs en est probablement le meilleur exemple. Entre les métaux précieux qui composent ces puces, les procédés industriels de pointe pour y graver des circuits électroniques, le savoir-faire pour les assembler, ou encore les compétences pour créer des logiciels permettant d’exploiter au mieux ce matériel, c’est une chaîne de valeur qui s’étale sur plusieurs continents.
La Suisse a pourtant vendu, en fin d’année 2024, la division de lithographie de Ruag à l’allemand Zeiss. Elle s’est ainsi privée de la maîtrise d’un processus industriel clé dans la fabrication des puces. La souveraineté ne doit plus être un mot tabou. Il ne s’agit pas de plaider pour le fantasme du réduit national. Mais d’identifier les nœuds de dépendance dans les secteurs stratégiques sur lesquels notre pays peut peser afin de préserver ses intérêts.