ÉDITORIAL. Après une attaque concertée des partisans de Bachar el-Assad, des milices sunnites ont semé l’effroi et le sang parmi la population alaouite

La fin cruelle du conte de fées? Trois mois après s’être débarrassée pratiquement sans combats du tyran Bachar el-Assad, la Syrie se retrouve à nouveau au bord du gouffre. On peut s’offusquer, avec raison, du déchaînement de violence qui a coûté la vie à quelque 1000 personnes en trois jours, principalement au sein de la minorité alaouite, sur laquelle s’était longtemps appuyé le régime Assad. Mais il est difficile de s’en étonner: la Syrie reste un pays dévasté, ruiné et profondément meurtri. Faute de justice, faute de moyens mais faute aussi d’un soutien international déterminé, elle risque à tout moment de replonger dans le pire.

Le nouvel «homme fort» syrien, le président par intérim, Ahmed al-Charaa, a troqué son turban de djihadiste pour un complet veston. Au cours d’une mue spectaculaire, il a multiplié les gages de retenue, autant envers la population syrienne et ses minorités qu’envers les responsables internationaux. Mais héritant d’un pays en miettes, se tournant vers les factions les plus loyales et les plus aguerries pour consolider son assise, il dispose sous son commandement de milices islamistes et djihadistes bien plus radicales que lui, dont il tarde trop à se distancier. Ce sont elles qui assurent son pouvoir de «transition». Ce sont elles qui ont assassiné des civils alaouites dans un déferlement de violence digne des pires heures de la guerre.

Exercice périlleux

Dans la province d’Idlib, Ahmed al-Charaa a passé dix ans à prouver son «pragmatisme», et à tâcher de «recentrer» autour de lui une myriade de groupes et de milices. A l’échelle de tout le pays, l’exercice n’en est que plus périlleux, comme viennent de le démontrer les provocations des anciens tueurs de Bachar el-Assad, retranchés dans les montagnes alaouites de Tartous et de Lattaquié. Bien davantage qu’Ahmed al-Charaa, ce sont elles qui ont tout à perdre dans la perspective d’une transition réussie vers la paix.

La méfiance des Occidentaux face à ce nouveau pouvoir syrien est largement compréhensible. Il faut couper net la dynamique du revanchisme et du radicalisme qui s’est enclenchée à nouveau ces derniers jours. Or, avec ou sans Ahmed al-Charaa, il n’y a qu’une réelle porte de sortie: offrir aux Syriens, de part et d’autre, un horizon et des perspectives économiques qui les dissuaderont de se jeter dans les bras des factions les plus radicales.