OPINION. Pour Tito Tettamanti, le duo Sergio Ermotti-Colm Kelleher a fait la différence lors de la reprise de Credit Suisse par UBS. Grâce à eux, la Suisse a évité une catastrophe bien plus grave que le «grounding» de Swissair. L’investisseur tessinois met aussi en garde: une réglementation bancaire excessive empêchera UBS d’être compétitive
Avec un tel titre, je suis parfaitement conscient que l’on ne gagne ni en popularité ni en sympathie. Cette provocation vise à contrer la croyance générale selon laquelle Credit Suisse a été vendu à UBS pour une bouchée de pain, un quasi-cadeau. Une simple analyse de la transaction permet de constater que ce n’est pas vrai.
Tout d’abord, UBS aurait pu, si elle l’avait voulu, imposer des conditions beaucoup plus sévères, étant le seul acheteur possible. Peut-être d’ailleurs qu’un certain sentiment national et de responsabilité a joué un rôle. L’alternative aurait été la faillite de Credit Suisse, avec des conséquences très lourdes pour notre économie, mais aussi pour la réputation de notre pays. Une faillite avec des procédures qui auraient traîné pendant des années et un impact négatif sur la Suisse bien plus important que l’effondrement de Swissair. Un grounding et une humiliation entrés dans l’histoire.
Et la piste d’un repreneur étranger, d’une banque internationale? Une alternative pratiquement impossible! Seule UBS avait les possibilités et les connaissances pour prendre la décision en quelques jours et quelques nuits d’analyse et d’évaluation, et cela malgré les risques découlant de la calamiteuse gestion de Credit Suisse. Si UBS a pu et su le faire, c’est aussi grâce à son président du conseil d’administration, l’Irlandais Colm Kelleher. Banquier chevronné ayant derrière lui une carrière réussie aux Etats-Unis, il avait en outre l’expérience de situations similaires pour les avoir vécues. Atout supplémentaire: il a pu jouer la carte Sergio Ermotti. Pure produit «maison» qui avait restructuré avec succès UBS dans les années précédentes et mis en place une équipe compétente. Ce duo a fait la différence.
UBS a payé un prix global non négligeable, constitué non seulement des 3,8 milliards de francs déboursés, mais aussi de la prise en charge de 5,9 milliards de francs de pertes pour 2023 du côté de Credit Suisse, et surtout du manque à gagner attendu en raison des charges liées à l’absorption. Le tout avec une marge de risque qui aurait pu rendre l’achat plus onéreux encore.
Avec la baisse de rendement liée à l’intégration de Credit Suisse, l’objectif est maintenant de remonter lentement la pente jusqu’en 2026. Plusieurs conditions devront être réunies pour réussir. Tout d’abord, que la gestion d’Ermotti et de son équipe de direction soit solide, avec toujours ces éventuelles situations anormales sur les marchés qui caractérisent notre époque… Certes, si tout se passe bien à partir de 2027, l’opération pourrait s’avérer intéressante, notamment grâce à la compétence de l’équipe de direction. Mais nous ne pouvons certainement pas porter de jugement aujourd’hui. Même le marché boursier indique des valeurs d’actions qui confirment la confiance dans la gestion, avec toutefois une grosse inconnue qui freine le prix de l’action: la teneur des décisions que les politiciens prendront concernant la capitalisation de la banque.
Le succès futur de l’opération, mais aussi celui d’UBS dans son ensemble, est donc entre les mains de la politique et des autorités fédérales. Ils doivent décider si la Suisse veut et a intérêt à avoir une banque d’importance mondiale, avec des avantages et des risques potentiels. Des avantages pour la solidité de la place financière, pour des multinationales suisses opérant dans le monde entier, pour la réputation dont jouit directement une Suisse avec un champion bancaire, premier gestionnaire d’actifs au monde.
La Suisse bénéficie de l’excellence dans les domaines de la chimie, de l’alimentation et de l’électromécanique. Ces secteurs nous confèrent une autorité et un prestige international sans commune mesure avec notre taille, tout en étant la source de plusieurs milliards d’impôts versés dans les caisses publiques (2,6 milliards par an pour la seule UBS). La place financière emploie 250 000 personnes dans des activités qualifiées et bien rémunérées; si l’on ajoute les services connexes, le nombre d’employés s’élève à 480 000. Elle génère 74 milliards de PIB, qui dépassent les 100 milliards si l’on tient compte des activités auxiliaires.
Si la présence d’une UBS opérant avec succès au niveau mondial est considérée comme une priorité pour notre pays, il faut lui permettre de lutter à armes égales dans un environnement très compétitif. Face à la concurrence, en particulier américaine, il faut éviter de lui imposer des contraintes inutiles, comme des exigences excessives en matière de fonds propres.
La Suisse est à la croisée des chemins. Les responsables politiques doivent décider s’ils veulent conserver une place financière de niveau mondial, ou s’ils préfèrent se replier sur les opérations domestiques où nos plus grandes banques, telles que la Banque cantonale de Zurich, ainsi que de nombreuses autres, y compris étrangères, sont également actives avec succès.
Dans ce cas, UBS ferait bien de s’installer aux Etats-Unis afin de lutter à armes égales.