Chez Charles Nodier et Théophile Gautier, de séduisantes trépassées font tourner le cœur des vivants. Deux perles de la littérature fantastique du XIXe siècle sont rééditées en poche par la maison lausannoise Presses Inverses

Une nuit ténébreuse, de l’exotisme, des ruines abandonnées, le cœur d’un jeune homme sentimental et ardent… Voilà pour les ingrédients. L’art de Charles Nodier (1780-1844) et de Théophile Gautier (1811-1872) faisait le reste. Dans ces deux nouvelles de leurs plumes, une brèche s’ouvre au milieu du quotidien et de belles trépassées surgissent (même si certains fantômes se révèlent parfois bien vivants, mais n’en disons pas plus).

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Apparition sidérante

Dans Inès de las Sierras, de Nodier, publiée en 1837, le spectre d’une femme se manifeste à un groupe de fringants officiers des armées napoléoniennes, venus souper dans les ruines d’un château espagnol la veille de Noël. Nodier, malmené dans son existence, préférait lui-même, disait-on, se replier dans le rêve ou le demi-sommeil… Sa longue nouvelle ressemble à un roman-feuilleton miniaturisé, avec ses nombreux rebondissements. Elle allie humour et fascination morbide. Non seulement la belle apparition parle, chante, boit et mange avec appétit, mais elle danse et crie devant les convives sidérés (certains ne s’en remettront jamais): «Elle se rapprochait de nous au point de nous effleurer de sa robe, en faisant claqueter avec une volubilité étourdissante les castagnettes réveillées, qui babillaient comme des cigales, et en jetant çà et là, au travers de leurs fracas monotones, quelques cris perçants, mais tendres, qui pénétraient l’âme.»

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La rondeur d’une gorge

Chez Gautier, dans Arria Marcella (1852), on apprend qu’il est également dangereux de se promener dans les ruines de Pompéi à la nuit tombée, surtout du côté de la villa de Diomède… Le voyageur Octavien y rencontre une femme dont il a admiré, dans la vitrine d’un musée, l’empreinte saisie dans la cendre du Vésuve. «La rondeur d’une gorge a traversé les siècles lorsque tant d’empires n’ont pas laissé de trace!» A la réapparition d’une morte s’ajoute le voyage dans le temps: c’est toute la ville de Pompéi qui s’anime et revit ses derniers instants, avant l’éruption qui la raya de la carte. La belle Pompéienne préfigure la catastrophe, dardant sur Octavien «le regard velouté de ses yeux nocturnes, et ce regard lui arrivait lourd et brûlant comme un jet de plomb fondu».

Nimbé de mystère

Cette littérature appartenant au genre fantastique est un antidote. Elle vient perturber l’ordre établi. Un autre temps s’ouvre et l’invisible paraît, hante un XIXe siècle matérialiste, qui ne jurait que par la raison et le progrès. Chez Nodier, chez Gautier, la nuit devient un jour nouveau, irréel, plus clair encore que le premier. Elle mêle les morts et les vivants, le passé et le présent, nimbe toutes choses de mystère, surtout les plus anodines, en apparence, comme de vieilles pierres baignées d’un rayon de lune.

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Charles Nodier, «Inès de las Sierras», Presses Inverses, 153 p.

Théophile Gautier, «Arria Marcella», Presses Inverses, 90 p. Introduction d’Hélène Dessales