La juriste franco-suisse qui a grandi à Genève occupe une fonction influente au cœur de Bruxelles. Secrétaire générale du Conseil, elle est la seule fonctionnaire européenne à se trouver à la table des 27 lors des sommets des chefs d’Etat
«C’est mon grand-père genevois,Alexandre Blanchet, qui, en 1906, à l’âge de 24 ans, a peint sa mère, Thérèse.» Un tableau accroché dans son bureau bruxellois du bâtiment Europa a capté notre regard et, à son évocation, Thérèse Blanchet s’est levée, s’est approchée de l’œuvre et nous a raconté son histoire. Nous voilà face à deux Thérèse Blanchet. L’une, démarche dynamique, veste vert vif et longs cheveux gris lâchés, qui occupe l’une des fonctions les plus influentes au sein des institutions européennes, et l’autre, encadrée, qui la surplombe, au visage à la fois doux et mélancolique.
«Mon arrière-grand-mère était Bavaroise, née d’une fille-mère. Comme enfant illégitime, elle a été mal considérée toute sa vie. Elle était corsetière et avait la vie dure. Elle disait toujours à ses enfants «Ich muss arbeiten», et…» Thérèse Blanchet se rassied, submergée par l’émotion. Puis se reprend. Elle ne peut s’empêcher de s’extasier devant le chemin parcouru depuis l’époque de son aïeule. Et il y a de quoi: la Franco-Suisse est secrétaire générale du Conseil de l’UE et du Conseil européen depuis le 1er novembre 2022, un des postes les plus importants et convoités de Bruxelles. Elle est de surcroît la première femme à occuper cette fonction.
Son grand-père était peintre, son père,Maurice Blanchet, aussi, connu également pour avoir, comme naturaliste, réintroduit le castor à Genève. Mais Thérèse Blanchet, qui a grandi à Confignon, a préféré opter pour le droit. Diplômée de l’Université de Genève, elle a été admise au barreau genevois en 1987 après un stage effectué dans l’étude d’avocats de Jacques Hochstaetter. Titulaire d’un master de droit européen du Collège d’Europe de Bruges, elle a ensuite poursuivi sa carrière à Bruxelles, d’abord pour l’AELE, à la Commission européenne, puis au service juridique du Conseil, au sein duquel elle a gravi plusieurs échelons, jusqu’à sa fonction actuelle.
«Je n’ai pas vraiment la fibre artistique, même si je dessinais un peu enfant, rigole-t-elle. Mon frère Jean-Alexandre est en revanche comédien et scénariste [il a notamment joué dans L’Ours Maturin et la famille Wallace, ndlr].»
Quand Charles Michel, alors président du Conseil européen, l’a appelée dans son bureau un jour d’automne 2022, Thérèse Blanchet ne s’attendait pas du tout à ce qu’il lui propose le poste de secrétaire général. «J’ai été surprise», avoue-t-elle. Elle n’avait pas le profil de ses prédécesseurs, souvent d’anciens ambassadeurs.
Mais elle a accepté de relever le défi et supervise aujourd’hui 3000 collaborateurs. Le secrétariat général assiste et conseille à la fois le Conseil de l’UE, présidé tous les six mois par un nouvel Etat membre et composé des ministres des Vingt-Sept qui se réunissent pour négocier et adopter la législation de l’UE, et le Conseil européen présidé par Antonio Costa, qui regroupe les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement.
D’ailleurs, place au concret. Elle nous emmène de son pas énergique dans la salle décorée par l’artiste belge Georges Meurant et ses carrés de couleurs, où siègent les dirigeants des Vingt-Sept lors des sommets européens. Thérèse Blanchet est la seule fonctionnaire de l’UE à être assise à leur table. Une place de choix, avec parfois un rôle d’équilibriste. Elle est celle qui, consciente des rapports de force et des différences de sensibilité, doit parfois mettre un peu d’huile dans les rouages. Et elle aime ça.
En trente ans de carrière à Bruxelles, elle a participé à de nombreuses conférences, négociations complexes et révisions de traités. Brexit, pandémie, guerre en Ukraine: les crises, elle ne les compte plus. «Mais elles démontrent à quel point rester unis permet d’avancer.» Deux moments en particulier l’ont marquée. Le sommet de Thessalonique de 2003, avec les dix futurs nouveaux Etats membres, «un moment émouvant et très fort d’unité européenne».
Puis le référendum de 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. «Nous venions de négocier un new settlement pendant huit mois avec les collègues britanniques Je me souviens très bien de leur mine défaite après les résultats. Mais, là aussi, les autres pays ont su faire preuve d’unité et rester fermes.»
Prône-t-elle, elle aussi, un «réveil européen» impératif, alors que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche suscite des inquiétudes? Thérèse Blanchet sourit. «Il y a peu, on osait à peine prononcer les mots «souveraineté européenne» ou «autonomie stratégique». Ce n’est désormais plus le cas. L’UE va de l’avant.» «Nous ne sommes peut-être pas des carnivores, mais nous sommes en train de devenir des omnivores», ajoute-t-elle, en paraphrasant Emmanuel Macron.
Et le dossier suisse, alors que les négociations entre la Suisse et l’UE se sont achevées en décembre? Là encore, Thérèse Blanchet, mariée à un Finlandais, sourit. «Je défends les intérêts de l’UE et c’est la Commission qui a négocié.» Elle taquine au passage les Suisses pour leur «état d’esprit un peu insulaire» et des revendications «parfois irréalistes vu de Bruxelles».
Ne lui demandez pas si elle se sent plus Européenne ou Suisse. Elle vous répondra simplement: «La Suisse est au cœur de l’Europe!» Avoir grandi dans un Etat fédéral l’a en revanche aidée à mieux comprendre la construction européenne. Mais c’est son histoire familiale, cette fois du côté de sa mère, Jeanne Blanchet, qui a renforcé ses convictions européennes. «Mon grand-père corse, instituteur à Paris, est entré dans la résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il était communiste. Il était en classe quand des policiers sont venus l’arrêter. Averti à temps, il a pu s’échapper en passant par la fenêtre et est entré dans la clandestinité. Il a été tué le jour de la libération de Paris. Il s’est pris une balle tirée par des pétainistes.»
«L’Europe, je sais pourquoi elle a été faite», ajoute Thérèse Blanchet. Et de faire allusion au traité de 1951 sur le charbon et l’acier, signé six ans seulement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. «Les Allemands et les Français se sont mis autour d’une table avec quatre autres pays [la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, ndlr], pour construire le noyau de ce qu’allait devenir l’UE. C’était particulièrement visionnaire et courageux.»
Thérèse Blanchet, une femme pressée? Le jour de notre rencontre, elle s’est montrée particulièrement disponible. Sous le regard bienveillant de son arrière-grand-mère.
1962: Naissance le 22 mai.
1987: Obtient son brevet d’avocat à Genève.
1990: Travaille comme conseillère juridique auprès de l’Association européenne de libre-échange (AELE).
1995: Entre à la Commission européenne. Bifurque trois mois plus tard au Conseil de l’UE.
2019: Devient directrice du Service juridique du Conseil, pour lequel elle travaille depuis 1995.
2022: Est nommée secrétaire générale du Conseil de l’UE et Conseil européen.