Le Contrôle fédéral des finances publie un audit passablement critique du projet visant à doter l’armée suisse de six drones Hermes de reconnaissance. Armasuisse veut tout de même aller de l’avant comme prévu
La commande de drones israéliens par l’armée suisse est à nouveau sous le feu des critiques. Après de multiples retards, c’est le Contrôle fédéral des finances (CDF) qui pointe une gestion du projet ADS15 «insatisfaisante». L’Office fédéral de l’armement (armasuisse) veut aller de l’avant comme prévu.
Ce projet vise à doter l’armée suisse de six drones Hermes de reconnaissance, sans pilote et non armés. En Suisse, ils doivent servir à surveiller les frontières, rechercher des personnes disparues en montagne ou évaluer une situation après une catastrophe naturelle.
Après plusieurs retards, la Confédération a annoncé un report à fin 2026. Jusqu’ici, cinq des six drones commandés ont été livrés, selon les indications les plus récentes d’armasuisse. L’organisation et la méthodologie du projet présentent des faiblesses, estime le CDF dans un audit publié mercredi. Et de critiquer notamment «des objectifs trop ambitieux, une planification et un pilotage lacunaires, une gestion insuffisante des risques et de la qualité».
«En raison du manque de planification globale du projet, il n’est pas possible d’évaluer de manière fiable son état d’avancement et de déterminer à quel moment le système sera terminé au plus tôt. Par ailleurs, le fournisseur Elbit planifie au fur et à mesure et il arrive régulièrement qu’il ne respecte pas son calendrier», pointe encore le CDF.
Armasuisse dispose d’un crédit de 298 millions de francs pour acquérir le système. Au moment de l’audit, en mai 2024, 288 millions de francs avaient été engagés, «ce qui laisse très peu de marge de manœuvre financière pour la suite du projet, alors que les défis sont considérables», s’inquiète encore le CDF. Pour le gendarme financier de la Confédération, les prochaines étapes devraient être clarifiées «de toute urgence». Une analyse approfondie de toutes les options possibles doit être menée.
Du côté de l’Office fédéral de l’armement, on reconnaît avoir sous-estimé certaines difficultés liées à ce projet complexe. Et on reconnaît aussi la nécessité d’agir. Selon l’office, les retards sont principalement dus aux fournisseurs, le suisse RUAG et l’israélien Elbit, à la pandémie de Covid-19 et au conflit actuel au Proche-Orient. S’agissant du contrat avec Elbit, armasuisse «déplore des retards, ainsi que l’absence de certaines fonctionnalités et des vices de qualité dans les systèmes livrés», lit-on dans sa réponse à l’audit.
Les recommandations du CDF seront prises en compte de manière conséquente. Mais armasuisse, qui ne partage pas les analyses du CDF sur plusieurs points importants de l’audit, entend aller de l’avant comme prévu. Il exclut ainsi tout redimensionnement ou toute interruption du projet. Des compensations fournies par Elbit ont été prévues dans un avenant au contrat. Au final, le plafond financier du projet ne sera pas dépassé, a assuré armasuisse.
Par ailleurs, armasuisse est liée à RUAG par un autre contrat qui porte sur un système innovant de détection et d’évitement («Detect and Avoid System», DAA) dont les drones doivent encore être équipés. Ce système doit permettre aux drones de voler sans escorte aérienne de jour comme de nuit dans tous les espaces aériens, ce qui n’est pas encore possible. Il s’agirait d’une première mondiale dans le domaine. Mais toutes les étapes de réalisation et de certification ne devraient pas être franchies avant 2029 au plus tôt.
Le CDF a aussi déploré le fait qu’armasuisse a remis aux Forces aériennes suisses deux drones en janvier 2023 déjà. «Ce procédé est en contradiction avec les processus habituels des modalités d’armement et a généré des surcoûts.» Les pilotes d’essai ayant identifié d’importants problèmes de qualité environ dix mois après la remise des systèmes, les Forces aériennes ont décidé de ne plus faire voler les deux drones. Même si les drones ne sont d’aucune utilité, les Forces aériennes doivent assurer leur entretien.
Pour armasuisse et l’armée, il s’agissait surtout d’engranger de l’expérience avec le nouveau système. Les graves défauts de qualité n’auraient sinon pas été détectés pendant cette phase d’exploitation, argumente l’Office fédéral de l’armement.