CHRONIQUE. Il se pourrait bien que la Chine exportatrice soit arrivée au bout de son modèle et paye désormais l’oubli de son marché intérieur, écrit l’économiste Charles Wyplosz

Puissante mais mystérieuse, l’économie chinoise n’est pas facile à déchiffrer. Ce qui est sûr, c’est que sa croissance est en berne, et c’est nouveau. Depuis les réformes de Deng Xiaoping au début des années 1980 et jusqu’à 2011, le PIB de la Chine a crû en moyenne de 10% par an, augmentant ainsi de près de 2000%, un chiffre astronomique. Et puis la croissance annuelle est passée à 8%, puis 6%, 4,5% en 2024 et pourrait s’orienter vers 3,5% dans les années à venir. La Chine est passée du stade de l’imitation de technologies rudimentaires pour exporter des produits bas de gamme à celui de la concurrence sur une production de plus en plus haut de gamme. C’est un processus normal, que nous avons connu en Europe après la Seconde Guerre mondiale, quand nous avons rattrapé les Etats-Unis. Mais alors que le rattrapage de l’Europe a commencé à ralentir dans les années 1980, lorsque le revenu moyen n’était plus que 20% en dessous de celui des Etats-Unis, la Chine a perdu son élan alors que son écart était encore de 80%, et il n’a plus beaucoup diminué. Les fleurons de l’industrie chinoise ne compensent pas la masse du reste de l’économie. Il est crucial que ces fleurons progressent à présent en innovant, si possible en dépassant les Etats-Unis. Certaines entreprises y parviennent, surtout dans le domaine du numérique et dans celui des véhicules électriques, mais elles sont rares et l’horizon s’assombrit.

Quatre facteurs qui menacent la croissance chinoise

Quatre raisons majeures expliquent cet assombrissement. La première est l’effondrement du secteur de la construction, qui a nourri la croissance depuis au moins deux décennies. Soutenu par un crédit abondant offert par les banques publiques et par les aides des autorités régionales, le secteur du bâtiment a littéralement explosé. Trop de logements ont été construits, si bien que les prix ont baissé, piégeant les acheteurs endettés obligés de rembourser des emprunts qui excédent la valeur de leurs logements. Comme ces logements constituent l’essentiel de leur fortune, mise de côté pour la retraite, la consommation a chuté. Pour des raisons idéologiques, les autorités ont longtemps refusé d’utiliser la politique budgétaire et la politique monétaire pour contrer cette évolution. Elles ont bougé en 2024, mais c’est trop peu et trop tard, d’où les prévisions de croissance pessimistes.

La deuxième raison concerne l’acquisition des technologies. Pendant longtemps, la Chine a contraint les entreprises présentes en Chine à partager leurs technologies avec des partenaires locaux. Elles ont cédé, appâtées par des salaires bas et une clientèle gigantesque dont les revenus augmentaient à toute vitesse. Ces transferts de technologies ont permis aux entreprises chinoises de devenir de plus en plus concurrentielles non seulement en Chine mais aussi sur les marchés mondiaux. Les entreprises étrangères ont naturellement commencé à renâcler.

Troisième raison, ces succès ont aiguisé l’ambition des autorités. Elles ont puissamment subventionné le développement de nouvelles technologies, comme les véhicules électriques et leurs batteries. C’est une grande réussite, sauf que ces subventions ont encouragé la création de trop d’entreprises qui produisent trop de véhicules. Ayant saturé le marché intérieur, elles s’efforcent de vendre le surplus à l’étranger, ce qu’elles peuvent faire en offrant des prix bas car financés par les subventions. Evidemment, les producteurs étrangers crient au secours et leurs gouvernements imposent des droits de douane. Et l’arrivée au pouvoir de Trump ne va pas arranger les affaires de Pékin.

Le nationalisme, aussi un obstacle

La montée en puissance du nationalisme chinois est la quatrième raison. Porté par les succès économiques et des moyens militaires inquiétants, ce nationalisme crée des tensions avec les pays occidentaux et avec les voisins asiatiques, y compris Taïwan. Ceci explique des sanctions qui visent, précisément, l’acquisition de technologies de pointe.

Une Chine puissante et compétitive ne peut plus s’appuyer sur une stratégie de rattrapage et la croissance ne sera plus ce qu’elle a été. Elle ne peut plus tout miser sur les exportations et doit développer un marché intérieur qui a été longtemps sacrifié. Les ambitions militaires effacent les collaborations. Nous assistons probablement à un retournement de situation. Il se pourrait bien que la Chine ait atteint son sommet.


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