Une mission archéologique franco-suisse a mis au jour une «tombe en four», vidée par les pilleurs dans l’Antiquité, mais aux fins décors parfaitement conservés

Tetinebefou était «doyen des médecins du palais», chef des dentistes, conjurateur de la déesse scorpion Serqèt, directeur des plantes médicinales. Il a vécu il y a plus de 4000 ans en Egypte, à Saqqara, sous le règne d’un souverain inconnu, successeur du roi Pépi Ier (VIe dynastie, 2350 av. J.-C.).

Sa tombe multicolore a été mise au jour en décembre 2024, en bordure du complexe funéraire de celui-ci, par la mission archéologique franco-suisse de Saqqara. Son codirecteur, l’égyptologue Philippe Collombert, de l’Université de Genève, évoque une découverte «qui ne va pas révolutionner la discipline», mais qui vaut, selon lui, «pour sa dimension esthétique et d’illustration de la culture matérielle de cette période».

Vue de l’intérieur du tombeau de Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA
Vue de l’intérieur du tombeau de Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA

A vrai dire, c’est un personnage plus illustre qui a mis les égyptologues sur le chemin de Tetinebefou. Il s’agit d’Ouni, qui fut grand vizir de Pépi Ier, et dont l’autobiographie nous est connue depuis le XIXe siècle grâce à une stèle gravée ornant sa tombe à Abydos, à 400 kilomètres au sud de Saqqara, où le souverain l’avait dépêché. La mission franco-suisse a découvert à Saqqara des blocs de calcaire portant copie de cette autobiographie, laissant penser que le prévoyant Ouni avait fait préparer deux tombes en vue de son voyage dans l’au-delà.

Celle de Saqqara, qui reste à dégager, a été trouvée dans le troisième cercle du complexe funéraire, par-delà la pyramide de Pépi Ier, en dehors des tombes de la famille royale et ses multiples épouses, parmi les grands du royaume réunis le long d’une grand-rue. En 2022, une première tombe de médecin avait été découverte au milieu de celle-ci, «aménagée par des «squatteurs» d’époque plus tardive», précise en souriant Philippe Collombert. Il n’en restait guère que la superstructure en brique crue.

Un décor coloré et finement gravé

Les chercheurs ont été plus heureux fin 2024, en trouvant au milieu de cette même rue un puits comblé, masqué par un bloc de calcaire qui n’avait été que partiellement débité par les carriers antiques. Après avoir dégagé les remblais sur trois mètres de profondeur, les fouilleurs sont donc tombés sur un linteau portant le nom de «Tetinebefou» et son titre de «médecin du pharaon», sans précision sur l’identité de celui-ci, mais présentant un style «caractéristique de Pépi II», dit Philippe Collombert.

Détail de la tombe du «doyen des médecins du palais», Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA
Détail de la tombe du «doyen des médecins du palais», Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA

Le médecin-magicien avait fait aménager une «tombe en four» classique de la période: le puits permettait de descendre le sarcophage en bois et d’enfourner celui-ci sous une dalle de pierre qui constitue le sol de la pièce richement décorée. Le culte avait lieu en surface, où un mastaba marquant la sépulture a depuis longtemps disparu. Du défunt et du sarcophage, et du mobilier qui l’accompagnait, tout s’est aussi évanoui. «Des pilleurs avaient soulevé la dalle et l’avaient bloquée avec une pierre pour accéder au sarcophage», explique Philippe Collombert. Le vol a pu survenir au lendemain de l’inhumation, si celle-ci a eu lieu en période de troubles, ou cent ans plus tard, avance-t-il.

Détail de la tombe de Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA
Détail de la tombe de Tetinebefou. — © MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANCO-SUISSE DE SAQQARA

Ne reste donc que le décor, plus coloré que l’alternance de rouge et de noir habituelle et plus finement gravé que la moyenne. Les objets représentés portent le nom du défunt, en petits hiéroglyphes de cinq millimètres de haut, «très minutieux», note Philippe Collombert. Autre détail remarquable, le plafond, dont la peinture sur calcaire évoque les veines du granit, suggère que le médecin avait obtenu le droit d’imiter cette matière noble réservée aux tombes d’élite.

A la fin de la fouille, la tombe a été scellée. Il y a peu de chances, en raison de ses petites dimensions, qu’elle soit un jour ouverte au public. Lors des prochaines fouilles programmées en fin d’année, l’équipe franco-suisse va à nouveau se concentrer sur la sépulture de l’insaisissable Ouni, qui, outre ses deux tombes, appartenait apparemment à une fratrie de trois frères portant le même nom, puisque l’épigraphie a révélé l’existence d’«Ouni l’aîné» et d’«Ouni du milieu»…