A la fin de l’ère soviétique, un couple de zoologistes abandonne le laboratoire pour le terrain. Que reste-t-il de ce rêve confronté au monde nouveau? Un roman habile, réaliste et poétique signé Marente de Moor
En 1984, Lev et Nadia ont choisi de s’installer au milieu des forêts, près de la frontière avec la Lettonie. Lui, le professeur de zoologie à Leningrad, renonçait à une carrière académique. Elle, son élève, de vingt ans sa cadette, amoureuse, enceinte, abandonnait ses études. Trente ans plus tard, elle se souvient et lui oublie. A leur arrivée, le village comptait une école, une boulangerie, une usine. Le dernier voisin est parti avec le dernier bus. La station biologique dans la clairière tombe en ruine. Tout a été pillé. Le grand bouleversement de 1991 n’a rien changé: ici, «tout a continué à rouiller» comme avant. La nature, tranquillement, reprend ses droits jusque dans les terrains contaminés où naissent des êtres étranges.
Dans cette solitude peuplée de renards et d’ours, résonnent des sons étranges, «comme si deux gigantesques plaques d’acier frottaient l’une contre l’autre». Ce sont les «Grands Bruits» du titre. Telluriques, ils émanent de la terre, du ciel, tout le monde ne les perçoit pas. Ils terrorisent Lev, dans son égarement précoce. Le pope, ce vieux hippie alcoolique, y entend les trompettes de l’apocalypse. Nadia compose avec eux comme avec le délabrement de sa vie. Les exigences de la nature la maintiennent vivante. Elle affronte la réalité. Les chèvres et le bouc, le cabri inattendu, le cheval, les poules, les chats, le chien, le corbeau, il faut les nourrir, cultiver le potager, couper le bois. La vodka, qu’apporte de la ville son fils, le si décevant Dimka, la console. Chaque nuit, elle guette le passage du train qui devrait lui ramener sa fille perdue. Reste aussi le ciel étoilé, quand elle se blottit contre Lev, devant la maison, dans un reste de tendresse animale.
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