CHRONIQUE. Souvent caricaturé, le président argentin, Javier Milei, est pourtant loin d’être fou. Pour refaire de l’Argentine le pays riche qu’il était autrefois, il souhaite s’inspirer d’un modèle qui a réussi ailleurs, notamment en Suisse: plus de liberté, moins d’Etat
Début 2024, Javier Milei avait marqué les esprits avec un discours fleuve au WEF contre le socialisme et les conséquences négatives qu’il fait peser sur l’Occident. Un an plus tard, celui qui n’était alors qu’un simple ovni revient auréolé de premiers résultats positifs, avec la maîtrise de l’inflation et la fin des déficits publics. Clivant, il ne laisse personne indifférent. Mais son influence internationale est indiscutable: plusieurs pays, dont les Etats-Unis, envisagent de copier sa cure d’amincissement de l’Etat.
En Europe, Milei reste une énigme, classé par paresse à l’extrême droite. L’histoire de son ascension au pouvoir et les motivations de fond qui expliquent sa popularité dans la population argentine, restent vagues. A tort, car son histoire est pleine d’enseignements. Dans son ouvrage, Die Ara Milei, le professeur Philipp Bagus nous éclaire sur son ascension. Sa victoire s’inscrit évidemment dans un contexte, celui d’un profond sentiment de ras-le-bol au sein de la population argentine.
Quand il arrive au pouvoir, l’inflation annuelle dépasse les 200%, la moitié du pays est pauvre et les perspectives sont sombres. Pour comprendre la violence du déclassement, il faut avoir en tête qu’à la fin du XIXe siècle, l’Argentine était plus riche, en revenu par tête, que l’ensemble des pays européens. A l’époque, il était habituel de dire «riche comme un Argentin». De nos jours, le revenu moyen par tête est moins élevé que celui de la Roumanie.
Cette déroute s’explique par une lente agonie morale. Celle d’un pays qui, au fil du XXe siècle, se vautre dans le copinage et l’étatisme, avec une élite dirigeante qui détruit les incitations à investir. En perturbant les mécanismes de l’économie de marché, par l’interventionnisme étatique et des subventions, les différents dirigeants socialistes parviennent à rendre la faim courante dans un pays qui est pourtant une puissance agricole. Les gouvernements Carlos Menem (1989-1999) et Mauricio Macri (2015-2019) tentent de redresser la barre en mettant en place des réformes libérales, mais leur approche s’avère trop tendre face au mal qui ronge le pays.
C’est ici que Milei entre en jeu. En 2015, il débute à la télévision. Par son authenticité et sa capacité à résumer clairement ses idées, il se fait rapidement un nom. L’économiste qu’il est intervient avec fougue pour dénoncer ce qu’il appelle la «caste politique» qui vit aux crochets des citoyens. Avec le temps, son discours infuse. Notamment sur les réseaux sociaux. Peu à peu, la population, spécialement les jeunes, reprend à son compte son analyse: l’Etat est le problème, et non la solution. Milei martèle que l’inflation ne vient pas de l’égoïsme des entreprises qui augmenteraient les prix (l’accusation des socialistes) mais bien de la «caste» qui a besoin de faire tourner la planche à billets pour financer ses cadeaux électoraux. Infatigable, Milei comprend que le combat est avant tout culturel. Alors il monte une pièce de théâtre. One man show durant lequel il explique le rôle néfaste joué par la banque centrale. Pendant un an et demi, il joue à guichets fermés.
Sans ce revirement dans l’opinion publique, Milei n’aurait eu aucune chance de devenir président. Loin d’être un épiphénomène, son succès est la suite d’une victoire culturelle. Désormais, seul le temps long nous dira s’il parvient à rendre à l’Argentine son brio d’antan. Si oui, il aura réussi là où ses prédécesseurs se sont fourvoyés. S’il échoue, il rejoindra la longue liste des politiciens qui n’ont su extraire le pays de son marasme. Avec tout de même comme bilan d’ores et déjà indiscutable d’avoir lancé une révolution morale, qui essaime partout dans le monde et qui nous débarrassera de nombreuses officines étatiques aux missions douteuses. Alors, rien que pour ça, merci et «viva la libertad, carajo!»
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