Chaque hiver, de nombreux dauphins sont capturés de manière accidentelle dans les filets des pêcheurs. Pour y remédier, environ 300 bateaux resteront à quai jusqu'au 20 février, contre une indemnisation
Arrêter la pêche pendant quatre semaines pour préserver les dauphins: la mesure, qui a contribué à diviser par quatre les captures accidentelles de petits cétacés l'hiver dernier, est reconduite à partir de mercredi dans le golfe de Gascogne.
Du Finistère à la frontière espagnole, environ 300 bateaux resteront à quai jusqu'au 20 février en bénéficiant d'une indemnisation gouvernementale à hauteur de 80% de leur chiffre d'affaires, qui n'éteint pas la grogne de la profession persuadée que des alternatives technologiques existent pour réduire ce phénomène.
Depuis une dizaine d'années, le nombre de prises accidentelles de dauphins dans la zone dépasse le niveau soutenable estimé à 4900 décès au maximum, selon le CIEM, organisme scientifique international de référence.
Sous le coup d'une procédure d'infraction de la Commission européenne et pressé d'agir par le Conseil d'Etat, saisi par des associations environnementales, le gouvernement français avait ordonné à l'automne 2023 cette fermeture «spatio-temporelle» de la pêche pour l'essentiel des bateaux de plus de huit mètres en 2024, 2025 et 2026.
Cette mesure, commune pour préserver des espèces de poissons menacées de surpêche, était inédite à une telle échelle dans le golfe de Gascogne depuis la Seconde Guerre mondiale.
A la clé, une chute du nombre de morts de dauphins par capture accidentelle: 1450 de décembre 2023 à mars 2024 sur la façade Atlantique et la Manche Ouest, contre 6100 en moyenne entre 2017 et 2023, selon l'institut Pelagis qui coordonne le Réseau national échouages.
«C'est efficace, les chiffres le prouvent», souligne Jérôme Spitz, codirecteur de l'institut installé à La Rochelle, qui précise que «les dauphins communs sont capturés lorsqu'ils sont en train de s'alimenter».
«Cette fermeture a été l'un des principaux leviers de la diminution des captures accidentelles, même s'il peut y avoir eu une conjonction de plusieurs mécanismes, parce qu'en dehors des périodes de fermeture, on n'a pas eu des niveaux de mortalité très élevés.»
L'année à venir pourrait d'ailleurs être différente car «on a des phénomènes de pics» en matière d'échouages, avec parfois «des fortes mortalités en décembre, d'autres années en mars».
«Je ne pense pas que la fermeture dans sa forme actuelle soit satisfaisante sur le long terme», ajoute-t-il, évoquant «une mesure d'urgence en attendant des mesures structurelles plus pérennes qui permettent de maintenir l'activité économique de pêche et la viabilité à long terme des populations».
«La fermeture, c'est la solution simpliste pour limiter l'interaction. C'est sûr que si on empêche l'activité, il n'y a pas d'interaction, donc une diminution des captures», abonde Julien Lamothe, directeur de l'organisation de pêcheurs FROM Sud-Ouest.
Satisfait du «soutien de l'Etat pour poursuivre les indemnisations», avec une enveloppe de 20 millions d'euros également à destination des mareyeurs, il est surtout impatient de «pouvoir enfin développer des expérimentations à large échelle pour trouver des solutions alternatives à la fermeture, au travers notamment du test de répulsifs».
Un peu plus de la moitié des 300 bateaux indemnisés sont déjà ou seront prochainement équipés d'effaroucheurs («pingers») ou de balises acoustiques destinées à éloigner ou avertir les dauphins du danger.
«Il faut maintenant montrer scientifiquement que ça fonctionne», a également déclaré vendredi la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, dont l'objectif est «la réouverture du golfe de Gascogne pour le mois de février 2027».
«Pour le moment, on n'a pas de solutions qui ont démontré une efficacité généralisée», prévient néanmoins le codirecteur de Pelagis. «C'est la combinaison de différentes solutions qui permettra la pérennité des mesures de gestion.» Il souligne aussi l'utilité des caméras embarquées à bord des navires pour «mieux comprendre les circonstances des captures accidentelles». «Pas mal d'animaux se décrochent avant d'arriver sur les bateaux, ce qui entraîne des écarts dans la perception du nombre d'animaux capturés par les professionnels et que les pêcheurs ne voient pas forcément.»
David Le Quintrec, fileyeur à Lorient (Morbihan) et président de l'Union française des pêcheurs artisans, «écoeuré d'avoir une deuxième fermeture alors qu'on aurait pu l'éviter», dénonce au contraire du «flicage». Il a déposé jeudi un recours auprès du Conseil d'Etat contre l'arrêté imposant ces caméras embarquées à une centaine de navires.