CHRONIQUE. Le départ de Viola Amherd pose aussi la question de ses relations avec le premier militaire du pays, Thomas Süssli, dont les propos ont pu être utilisés par l'UDC. Restera-t-il, se demande notre chroniqueur
«Le monde militaire n’est pas du tout cruel», a répondu diplomatiquement la conseillère fédérale démissionnaire, Viola Amherd, à la question de savoir qui, du monde politique ou du monde militaire, l’avait été le plus avec elle. Cruelle, l’armée suisse? Assurément non. Mais ses chefs désolants, sûrement. Car, enfin, le dernier épisode dont la ministre a fait les frais,la demande de démission exigée par l’UDC suisse, laisse songeur quant à la première qualité exigée du plus haut officier comme du simple soldat: la capacité de discernement.
L’armée doit à nouveau être crédible pour pouvoir défendre la Suisse. Ce n’est pas le cas aujourd’hui
Car voilà que le premier militaire du pays, le chef de l’armée Thomas Süssli, est venu benoîtement, samedi dernier, apporter lui-même au séminaire des cadres de la droite nationale conservatrice les grenades politiques avec lesquelles on a tenté de dézinguer la ministre. Nul besoin d’avoir lu L’Art de la guerre de Sun Tzu pour savoir qu’avant tout, dans la chose militaire comme en politique, il faut éviter de se faire imposer par l’adversaire le terrain de l’affrontement. «L’armée doit à nouveau être crédible pour pouvoir défendre la Suisse. Ce n’est pas le cas aujourd’hui», aurait avoué, devant les cadres de l’UDC, celui qui est tout de même le patron de l’armée depuis cinq ans. Il fallait être naïf pour penser que l’UDC n’allait pas se servir de ces munitions. Thomas Süssli ne s’est même pas assuré du contrôle de la communication et de l’usage qui serait fait de ses propos.
L’explication
Viola Amherd, une présidence de la Confédération en dents de scie
Viola Amherd, élue au Conseil fédéral en décembre 2018, a présenté sa démission le 15 janvier 2025, quinze jours après la fin de son année en tant que présidente de la Confédération. Elle avait accédé au gouvernement en obtenant, dès le premier tour du scrutin, 148 voix sur 244, puis à la présidence par 158 voix sur 204 bulletins valables.
«En bonne montagnarde, la conseillère fédérale a eu des hauts et des bas» durant l’année 2024, comme nous l’écrivions en introduction de notre podcast politique Sous la Coupole, consacré au bilan présidentiel de la ministre. Parmi les succès de Viola Amherd, son collègue de parti et conseiller national Vincent Maitre retient avant tout le sommet du Bürgenstock.
Mais l’année présidentielle a aussi été émaillée par plusieurs pannes au sein du Département fédéral de la défense (DDPS), notamment les turbulences à la tête de RUAG ou encore le fameux «trou dans la caisse» de l’armée, dossier sur lequel Viola Amherd n’a pas maîtrisé la communication, tardant à s’exprimer et contredisant le chef de l’armée.
Certes, on n’exige pas d’un militaire d’avoir du sens politique. Mais l’incident du séminaire de l’UDC, plutôt gênant, s’ajoute à une série de pannes, au mieux de communication, au pire de management et de conduite de projets, survenues au sein du Groupement de la défense dirigé par Thomas Süssli et plus généralement au sein du département de Viola Amherd. On a tous en mémoire l’affaire du «trou d’un milliard dans le budget de l’armée» – selon Thomas Süssli –, qui avait mis en ébullition le monde politique au début de l’an dernier. Il n’y en avait pas, selon Viola Amherd. Qui avait dû démentir son chef de l’Armée, décidément embrouillé dans sa stratégie pour obtenir une rallonge financière. Pour être juste, il faut gratifier le chef de l’armée de la réussite de la mobilisation des troupes lors de la crise du covid et de la mise en place d’un commandement cyber et d’un bataillon d’informaticiens avec des effectifs renforcés.
Pour le reste, Viola Amherd, dont on n’a cessé de vanter l’excellente collaboration avec Thomas Süssli, s’en va avant d’être confrontée à sa part de responsabilités. Elle qui a su jusqu’ici habilement se défausser par des réponses évasives, fuyantes, ou en laissant à d’autres le soin de répondre aux questions embarrassantes. En décembre, c’est bien à elle que la Délégation des finances, après la Commission de politique de sécurité du National, a envoyé une lettre d’avertissement s’inquiétant des retards et dépassements de sept grands projets d’armement et d’informatique, avec des problèmes et des risques massifs. Des projets dont le coût total est estimé à 19 milliards de francs. Sans compter les nouveaux drones de reconnaissance (300 millions de francs) cloués au sol en raison d’un problème de GPS. Aujourd’hui, l’UDC a beau jeu de reprocher à la ministre et au chef de l’armée de n’avoir toujours pas élaboré une stratégie de défense globale ni présenté au Conseil fédéral la nouvelle structure de l’armée. Indispensable à Viola Amherd, Thomas Süssli le sera-t-il encore à sa ou son successeur?