Le modèle de fixation des loyers est obsolète, constate une étude commandée par l’Office fédéral du logement (OFL). En cause: la montée en puissance sur le marché immobilier des investisseurs institutionnels
L’étude a été publiée en toute discrétion peu avant Noël. Si le sujet est de nature technique, il a cependant un impact sur nombre de locataires et de propriétaires. Les récentes augmentations de loyer dues à la hausse du taux de référence manquent de bases factuelles, montre l’analyse de la société de conseil immobilier CIFI, qui a été mandatée par l’Office fédéral du logement.
Le taux d’intérêt de référence joue un rôle clé pour les baux existants. Alors qu’il a longtemps stagné, l’indice a connu deux hausses en 2023, passant de 1,25% à 1,75%. En principe, chaque augmentation de 0,25 point donne aux propriétaires le droit de majorer le loyer de 3%. A contrario, chaque baisse de 0,25 point donne aux locataires le droit de demander une baisse de loyer de 3%. L’idée reposant derrière ce mécanisme est que les bailleurs ont des hypothèques et paient plus si les taux d’intérêt augmentent.
Entre la compensation du renchérissement et l’augmentation générale des coûts, des locataires ont subi des hausses de loyer dépassant 10%. En recevant leur augmentation de loyer, nombre de locataires ont dû se demander si leur propriétaire avait réellement des dépenses plus élevées ou s’il augmentait surtout ses profits. Dans ce contexte, le Conseil fédéral avait présenté à l’automne 2023 des mesures «ciblées» afin de freiner les hausses de loyer. Il avait également chargé le Département de l’économie d’évaluer la pertinence du modèle de fixation des loyers, qui remonte aux années 1980 et qui n’a jamais été révisé.
Le modèle actuel repose sur l’hypothèse que les revenus locatifs couvrent 70% du capital et 30% des autres coûts, tels que l’entretien ou les frais administratifs, le coût du capital étant réparti entre 40% de fonds propres et 60% de fonds étrangers. Or, l’étude du CIFI montre qu’aucune des hypothèses ne correspond à la réalité actuelle du financement immobilier. Une adaptation du modèle serait donc indiquée, concluent les experts de la société.
Lorsque le système a été introduit dans les années 1980, le niveau des taux d’intérêt était encore relativement élevé et la plupart des logements locatifs étaient entre les mains de particuliers. Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Rien qu’entre 2000 et 2023, la part des propriétaires institutionnels – c’est-à-dire, par exemple, les caisses de pension ou les sociétés immobilières – est passée de 31 à 44%.
A partir de 2015, l’environnement de taux bas a fait fortement baisser les coûts des hypothèques et a entraîné des déplacements massifs sur le marché des capitaux. Les investisseurs institutionnels, tels que les caisses de pension et les assurances, se sont rués sur le marché immobilier. Or, ces entreprises financent généralement leurs biens par leurs propres moyens.
Le postulat que 60% des recettes affectées au rendement du capital servent à payer des intérêts hypothécaires n’est plus valable. Le taux de financement par des tiers est nettement plus bas. Il atteint environ 24% pour les investisseurs institutionnels. Quant à l’hypothèse que 30% des loyers servent à couvrir les autres coûts, tels que l’entretien ou les frais administratifs, elle n’est plus non plus d’actualité. En réalité, elle atteint plutôt 20 à 22% pour les propriétaires institutionnels, selon l’étude. Conséquence, le rendement sur fonds propres s’avère plus élevé que prévu.
Faut-il dès lors en conclure que les récentes augmentations de loyer dues à la hausse du taux de référence n’étaient pas justifiées? «Ce n’est pas tout à fait exact, répond Donato Scognamiglio, président du conseil d’administration du CIFI. Si le taux d’endettement avait été adapté aux résultats de notre étude, la hausse du taux d’intérêt de référence aurait pu être répercutée dans une moindre mesure sur les loyers. Il faut toutefois tenir compte du fait que, dans un modèle ainsi révisé, les loyers auraient dû moins diminuer en cas de baisse du taux de référence. En outre, nos résultats montrent que les augmentations de loyer dues au renchérissement ont été trop faibles.»
La publication de l’étude n’a pas manqué de faire réagir l’Association suisse des locataires. «Ce que révèle cette étude est scandaleux, s’insurge Benoît Gaillard, membre du comité de l’Asloca. Les loyers suisses, en raison d’un modèle de calcul dépassé et jamais adapté depuis 1983, subventionnent des profits excessifs pour les propriétaires immobiliers.» Or, le droit suisse prévoit que les loyers couvrent les coûts de l’immeuble et un «rendement adéquat» du capital. «Nous avons un modèle qui conduit à fournir un rendement très élevé des fonds propres, ce qui n’a jamais été l’intention du législateur», souligne-t-il.
Certains paramètres techniques du droit du bail «méritent sans doute d’être revus», reconnaît Olivier Feller, secrétaire général de la Fédération romande immobilière (FRI). «Le taux hypothécaire de référence est un critère qui ne satisfait personne, mais dont tout le monde s’est accommodé», fait remarquer le conseiller national (PLR/VD). Une question se pose surtout: par quoi le remplacer?
«Je souhaiterais que les acteurs du logement se mettent autour d’une table pour une révision globale du droit du bail. Mais je ne sais pas si les conditions sont réunies, car le contexte est tendu après la campagne de l’automne dernier», affirme Olivier Feller. Les Suisses ont refusé en novembre les deux objets liés au droit du bail, sur la sous-location et le besoin propre, que leur soumettait la majorité bourgeoise du parlement. Le jour des résultats, le ministre de l’Economie, Guy Parmelin, avait appelé à «mettre fin à la guerre des tranchées».
A la suite de cette étude, le Département de l’économie a annoncé qu’il allait revoir le modèle de loyer en vigueur. Le Conseil fédéral devrait présenter ce printemps ses premières propositions. «Il faut rapidement remettre l’ouvrage sur le métier, et ne pas se donner des mois de réflexion comme le propose Guy Parmelin, estime Benoît Gaillard. Il y a urgence au vu du niveau des loyers.» L’étude du CIFI renforce l’Asloca dans sa volonté de lancer en milieu d’année une initiative populaire afin d’ancrer dans la Constitution le principe du loyer basé sur les coûts. Le texte demande aussi un contrôle automatique des loyers.