OPINION. Mettre des conditions préalables à la coopération avec les nouveaux dirigeants syriens pourrait mettre en péril leur bonne volonté affichée et provoquer un résultat contraire aux attentes, écrivent les ex-ambassadeurs Jean-François Cautain et Omar Samad

Un changement de régime après une courte campagne militaire, un leader en fuite, des vainqueurs surpris de se retrouver si rapidement au cœur de la capitale, des déclarations politiques rassurantes de la part des nouveaux maîtres issus de mouvements islamiques. En trois ans, le même scénario s’est déroulé dans deux pays distants d’à peine 3000 km, deux pays qui ont traversé des décennies de violence, l’Afghanistan et la Syrie.

Les talibans prennent le contrôle de Kaboul le 15 août 2021. Dès le lendemain ils tiennent des propos rassurants sur les bonnes relations avec la communauté internationale, sur la liberté de la presse, les droits humains, en particulier, ceux des femmes, l’éducation et le travail pour toutes et tous dans le respect de la charia.

La grande erreur de l’été 2021: une opposition frontale

En réponse à cette main tendue par ces nouvelles autorités fières d’avoir «libéré» leur pays et d’avoir rétabli la sécurité et la paix, la communauté internationale répond par des conditions préalables à la reconnaissance de leur gouvernement. Le Conseil de sécurité des Nations unies, le 30 août, le Conseil de l’Union européenne, le 17 septembre, demandent que les talibans s’engagent à lutter contre le terrorisme, à ne pas mettre d’obstacle à l’aide humanitaire, à respecter les droits humains en particulier ceux des femmes et des minorités, et à rechercher une solution politique négociée et inclusive.

Cette opposition frontale au nouveau régime, due en partie à certaines réactions irrationnelles au sein des chancelleries occidentales, inclut aussi un arrêt immédiat de l’aide au développement, le gel des avoirs de la banque centrale d’Afghanistan et des contraintes imposées sur les transferts bancaires internationaux.

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Ces décisions précipitent le pays dans un marasme économique, plongent 90% des Afghans dans la pauvreté et impactent les dynamiques internes au sein des talibans. Les tenants d’une ligne d’engagement avec l’Occident voient ainsi leur approche laminée et leur légitimité en interne mise à mal. Ceci est l’occasion pour la faction la plus radicale des talibans de reprendre en main la stratégie du mouvement, menant à des décisions inacceptables et, pour la majorité des musulmans, contraires à leur religion, portant gravement atteintes aux droits des femmes, enfermant ainsi la communauté internationale et les talibans dans une confrontation systématique.

Quelles leçons tirer de cet échec pour la Syrie – malgré toutes les différences d’histoire et de contexte?

Trois leçons

Première leçon: pas de conditions préalables. Alors que la situation reste fluide, qu’il y a toujours une certaine confusion sur l’implication de certains pays et l’allégeance à différentes idéologies, le nouveau régime tient un discours de réconciliation nationale. Cependant, on entend déjà que les nouveaux dirigeants syriens doivent faire leurs preuves, qu’ils vont être jugés sur leurs actions et non sur leurs paroles. Mais attendre jusqu’à quand? Que les fragiles gains du départ de Bachar el-Assad disparaissent, que l’espoir d’une population libérée s’envole? Non, ne mettons pas des conditions à une «Syrie idéale». Ne décidons pas pour les Syriennes et les Syriens ce qui est bien, ce qui est mal.

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Deuxième leçon: relancer l’économie. Afin que les nouveaux dirigeants puissent bénéficier du soutien de la population, il faut remettre en route l’économie et les services à la population. Il faut rapidement mettre en place des mécanismes de financement permettant de soutenir l’espoir fragile suscité par le départ du dictateur. Il faut lever l’embargo sur les exportations de pétrole et permettre à la banque centrale syrienne d’avoir accès à ses avoirs gelés.

Troisième leçon: s’engager malgré les clichés et les étiquettes. Labellisé par les politiques et les médias occidentaux d’islamistes radicaux, le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) est sur la liste des organisations terroristes des Nations unies, des Etats Unis et de l’Union européenne. Mais on sait qu’ils ont géré efficacement, et en respectant l’ensemble des populations, la région d’Idlib. Acceptons que ce groupe ait évolué. Acceptons qu’il ait vraiment à cœur le bien-être de l’ensemble de la population syrienne.

Personne ne sait si l’application de ces trois leçons à l’Afghanistan aurait modifié de manière substantielle le cours des choses dans le pays. Apprenons, mutatis mutandis, de notre échec, que nous espérons provisoire, en Afghanistan pour donner une chance aux 43 millions de Syriennes et Syriens les moyens de construire la paix à laquelle elles et ils aspirent.

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