L’investisseur activiste a annoncé la fin de ses activités, apparemment après être arrivé au bout de son pipeline d’entreprises à dénoncer. Le vendeur à découvert avait provoqué EN 2024 une baisse de 30% du cours de Temenos notamment

C’est l’investisseur qui a terrorisé Temenos, le fabricant de camions (pas vraiment) électriques Nikola ou le conglomérat indien Adani. Et leur a probablement coûté des millions, si ce n’est des milliards. Hindenburg Research va mettre fin à ses activités dans les prochains mois, a annoncé mercredi son patron Nate Anderson. Pas à cause d’une menace particulière ni d’un problème personnel, a précisé le vendeur à découvert américain, qui reconnaît avoir utilisé tout son stock d’entreprises à dénoncer car il les jugeait surévaluées ou frauduleuses.

«Près de 100 individus ont été inculpés au moins partiellement grâce à notre travail, y compris des milliardaires et des oligarques. Nous avons secoué des empires dont nous pensions qu’ils avaient besoin de l’être», écrit Nate Anderson sur le site d’Hindenburg Research, nommée en référence au dirigeable allemand qui explosa en 1937, «l’exemple même d’une catastrophe totalement provoquée par l’homme et totalement évitable», selon lui.

Analyser et dénoncer

Les catastrophes qu’Anderson voulait éviter étaient financières, en dénonçant des entreprises qu’il estimait coupables de malversations. C’est en s’attaquant au constructeur de camions prétendument électriques Nikola que l’investisseur américain est devenu l’un des vendeurs à découvert les plus suivis et respectés.

Sa tactique: analyser une entreprise, en déduire qu’elle est surévaluée, parier sur sa baisse en bourse (ce qu’on appelle une vente à découvert) et publier ses conclusions, en précisant qu’il a pris une position baissière.

En Suisse, ses allégations de manipulations comptables à l’égard de Temenos ont provoqué une chute de 30% de l’éditeur genevois de logiciels bancaires à la bourse, début 2024. Temenos, comme toutes les cibles d’Hindenburg Research, a publiquement démenti ces accusations - enquête indépendante à l’appui -, mais son action n’a jamais retrouvé son niveau initial.

En 2023, après qu’Hindenburg a dénoncé le conglomérat indien de Gautam Adani, la société de paiement Block du cofondateur de Twitter Jack Dorsey et celle de l’investisseur Carl Icahn, la richesse cumulée de ces trois hommes avait chuté de près de 100 millions de dollars, tandis que la valeur de leurs entreprises perdait jusqu’à 173 milliards, rappelle Bloomberg.

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Reste que les vendeurs à découvert, qui œuvrent souvent de concert avec des hedge funds, ne sont pas toujours perçus comme des chevaliers blancs. Un autre activiste très connu outre-Atlantique, Andrew Left, risque 25 ans de prison pour avoir menti à ses investisseurs (il sera jugé en septembre).

Accusés de conflit d'intérêts

Plus généralement, ces oiseaux de mauvais augure sont critiqués pour leurs conflits d’intérêts (ils encouragent les autres investisseurs à prendre les mêmes paris baissiers qu’eux) et pour les dégâts qu’ils infligent à des entreprises. Par ailleurs, leurs positions baissières les exposent à des pertes théoriquement infinies si l’action en question monte en flèche.

Affirmant que les vendeurs à découvert «nettoient les marchés», l’un d’eux, Gabriel Grego, de Quintessential Research, nous avait répondu que personne ne trouve rien à redire lorsqu’un investisseur haussier dit du bien d’une société et qu’il profite de la hausse du cours - malgré un tout aussi évident conflit d’intérêts. «Un vendeur à découvert peut précipiter la chute d’une entreprise, mais pas la provoquer», estimait aussi dans nos colonnes un professeur d’université.

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Savoir-faire mis à disposition

L’activisme à la Hindenburg expose aussi à des contre-attaques parfois violentes des sociétés visées. Trois procès dès les débuts de l’entreprise ont bien failli lui être fatals, raconte encore Nate Anderson sur son site internet. Après avoir tenté de vivre en renseignant les autorités boursières (et en étant rémunéré pour cela), l’investisseur s’était lancé sans expérience flamboyante dans la finance et sans argent (encore moins après ces procès). Il reconnaît avoir tenu grâce au soutien d’un avocat, et à un besoin «de se prouver des choses».

Enfin, le contexte boursier est moins porteur pour les «short sellers» (vendeurs à découvert en jargon financier), avec des marchés en hausse quasi ininterrompue depuis une décennie, ce qui rend plus difficile d’aller contre le courant dominant.

Mais l’aventure d’Hindenburg Research n’est pas terminée. Nate Anderson s’est engagé à partager publiquement son savoir-faire et ses méthodes de travail, afin de susciter des vocations. Et, comme il le dit, «avoir un impact, peu importe qui l’on est».