Les Etats-Unis ont encore durci le ton vis-à-vis de la Russie vendredi dernier. Mais un négociant de pétrole russe installé à Genève est jusqu’à présent passé entre les mailles du filet de l’Oncle Sam
Pas moins de 183 bateaux mais aussi des groupes comme Gazprom et Surgutneftegas, deux des principales compagnies d’hydrocarbures de Russie. La dernière vague de sanctions américaines, annoncées vendredi dernier, a pour but de réduire davantage les exportations de pétrole et de gaz russes et d’étrangler encore un peu plus son économie, à quelques jours de l’investiture de Donald Trump. Elle a été source de fébrilité sur le marché du pétrole, le cours de Brent ayant atteint les 80 dollars (il s’échangeait à 75 dollars auparavant) avant de se stabiliser dès mardi.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, les Etats-Unis ont soigneusement calibré leurs sanctions à l’encontre du secteur énergétique russe, pour empêcher qu’elles n’engendrent une trop forte hausse des cours du pétrole et du coût de l’essence. Fin 2022, Washington a convaincu ses alliés de laisser une voie légale aux entreprises occidentales pour manipuler le brut russe si le prix tombait en dessous de 60 dollars le baril. Cette mesure inédite, toujours en vigueur, visait à maintenir le flux de pétrole tout en réduisant les revenus de Moscou.
Les mesures annoncées vendredi vont un peu plus loin, la menace de voir les prix s’envoler semblant écartée. Le nouveau train de sanctions coûtera à la Russie des milliards de dollars par mois de recettes, a déclaré un haut fonctionnaire de l’administration.
Washington n’a toutefois pas inscrit sur sa liste noire la plus grande société énergétique russe, Rosneft Oil, et a épargné l’un des principaux négociants de pétrole russe, un Azéri qui s’appelle Etibar Eyyub, a notamment relevé le Wall Street Journal.
Rosneft a une antenne de négoce à Genève – un bureau réputé dans le secteur depuis longtemps. Le groupe est inscrit au registre du commerce depuis 2011. La présence d’Etibar Eyyub est par contre beaucoup moins connue.
Comme l’a constaté Le Temps, l’homme loue pourtant bien un logement à Vésenaz, en attendant de déménager dans une maison qu’il comptait construire, à quelques kilomètres de là, dans la commune huppée de Cologny. Le trader y a acquis une villa avec sa femme en janvier 2021 – avant la guerre et les sanctions – pour 6,25 millions de francs, avant de la détruire dans l’optique d’en construire une autre. Un projet qui risque fort de capoter pour des raisons bancaires, selon Le Matin Dimanche, même si le trader n’est pas sous sanctions. Le 6 janvier, Le Temps est allé sonner à sa porte à Vésenaz et lui a laissé un courrier avec des questions, mais personne n’a répondu. Pas plus de chance sur les médias sociaux par le biais desquels une prise de position d’Etibar Eyuub a été sollicitée.
Il faut dire que le personnage, né en septembre 1978 en Azerbaïdjan, est plutôt discret. L’homme qui s’est spécialisé tôt dans le pétrole russe semble avoir débuté, selon nos informations, avec une société créée dans son appartement à Bakou, AZ Drilling. C’est en rejoignant, en 2014, le groupe singapourien Coral Energy qu’il s’est fait un nom. Il participe au développement de cette entreprise dans le négoce de pétrole russe, disposant d’un atout de taille: il est un proche d’Igor Setchine, le patron du géant pétrolier Rosneft, qui est lui-même un proche de Poutine, selon le Wall Street Journal.
Etibar Eyyub quitte Coral en 2018. Il continue de collaborer avec cette entreprise en tant que consultant jusqu’en 2022, avant que les ponts ne soient définitivement coupés. Coral Energy, qui s’appelle aujourd’hui 2Rivers et qui a ouvert un bureau à Genève l’an dernier, a été sanctionnée par le Royaume-Uni le mois dernier, quand bien même elle assure ne plus négocier d’hydrocarbures russes depuis deux ans.
En 2024, Etibar Eyyub a fait l’objet de deux enquêtes journalistiques. En février, le Wall Street Journal évoque un trader qui voyage de et vers Moscou en jet privé et qui a bâti un «empire de trading clandestin», constitué de nombreuses sociétés et spécialisé dans la livraison de pétrole en Asie. Dans ce cadre, quelque 80 bateaux auraient notamment permis à la Russie de continuer d’exporter une partie de son pétrole. Le journal anglo-saxon indique que le Département américain de la justice enquête sur Etibar Eyyub (ce qu’il ne nous a ni infirmé ni confirmé). Le journal français Le Monde affirme, en octobre, que le trader a contourné les sanctions occidentales par le biais de sociétés offshore et de cargos fantômes.
Une société basée à Hongkong, Guron Trading, incluse dans le train de sanctions de vendredi, a fait partie du réseau d’entreprises qui ont été utilisées par Etibar Eyyub pour commercialiser du pétrole russe, selon la presse anglo-saxonne. Deux autres sociétés liées au trader azéri, Bellatrix Energy (basée à Hongkong) et Voliton (enregistrée à Dubaï), font également l’objet de sanctions depuis un an.
L’étau se resserre donc autour d’Etibar Eyyub. En Suisse, selon une source à Genève, beaucoup de gens dans le milieu du trading se demandent d’ailleurs quand, et non pas si, il sera inclus dans la liste des personnes épinglées, aux Etats-Unis ou ailleurs. Sur l’Arc lémanique, outre 2Rivers, Groupe Paramount ainsi que deux de ses cadres ont fait l’objet de sanctions, en Europe et au Royaume-Uni, liées à la guerre en Ukraine.