Un accord de cessez-le-feu a été trouvé mercredi entre Israël et le Hamas. S’il est bel et bien mis en œuvre, les 1,9 million de déplacés devraient progressivement pouvoir se réinstaller. Un chantier logistique monstrueux, tributaire de la reconstruction de Gaza et de sa future gouvernance
«J’espère, si Dieu le veut, que les nouvelles dont nous entendons parler sont vraies, que nous retournerons chez nous en toute sécurité.» Mercredi, Hanan Bargouth voulait y croire. Oui, ses enfants retourneront bientôt à l’école et, oui, l’air sera, un jour, à nouveau respirable. Comme cette habitante de la ville de Gaza, rencontrée par Reuters à Khan Younès au sud de l’enclave mercredi, des centaines de milliers de déplacés Gazaouis ont recommencé à croire en un avenir meilleur, ou un avenir tout court, ce mercredi 15 janvier.
Après quinze mois de bombardements, d’expulsions, de deuil, de faim et de maladies, alors que les médias du monde entier guettaient l’annonce d’une trêve, Joe Biden et le premier ministre qatari Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani ont confirmé que cessez-le-feu, il y aurait. Dès dimanche.
L’accord, passé entre Israël et le Hamas, comporte trois phases et devrait aboutir à la libération de tous les otages et à la reconstruction de l’enclave. Le cessez-le-feu débutera par une trêve de six semaines lors de laquelle 33 otages et environ un millier de prisonniers palestiniens devraient recouvrer la liberté. Hanan Bargouth et les centaines de milliers de déplacés qui ont fui le nord de l’enclave, comme elle, devraient pouvoir prendre le chemin du retour – selon un dispositif de sécurité encore flou.
Le chantier s’annonce infiniment complexe. D’abord, il y a les chiffres, vertigineux. Environ un Gazaoui sur dix a fui les bombes ou été expulsé de chez lui depuis le 7 octobre 2023, soit 1,9 million de déplacés. Jamais l’enclave et ses 365 km2 de terres n’avaient connu de tels déplacements sur un laps de temps aussi court. Il s’agit du plus grand déplacement de population depuis la création d’Israël en 1948, lorsqu'environ 750 000 Palestiniens avaient fui l'intérieur des nouvelles frontières, rappelait le Washington Post en mars dernier.
Les populations de déplacés se concentrent au sud de l’enclave. Rafah, qui ne comptait que 280 000 habitants avant le début de la guerre et représente moins de 20% de la superficie de Gaza, hébergeait fin 2023 environ la moitié de la population gazaouie, soit plus d’un million de personnes, selon l’UNRWA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens. Les déplacés ont parfois dû se déplacer une dizaine de fois.
Et puis, il y a l’ampleur des destructions, qui n’ont épargné ni habitations, ni écoles, ni commerces, ni hôpitaux. En novembre, des chercheurs américains estimaient que près de 60% du bâti du territoire était dégradé ou détruit. Dans la ville de Gaza, ce chiffre approchait même les 74%. Début décembre, les données du Centre satellitaire de l’ONU, analysées par le Washington Post, montraient qu’un tiers de tous les bâtiments du gouvernorat de Gaza-Nord avaient été détruits, dont plus de 5000 bâtiments à Jabaliya, plus de 3000 à Beit Lahia et plus de 2000 à Beit Hanoun.
L’avenir des bâtiments et des infrastructures est éminemment politique. La question du retour des déplacés et de leur réinstallation est intimement liée à celle de la reconstruction et de l’aménagement de l’enclave dans le futur. Or, «le grand plan de reconstruction de Gaza» ne sera lancé que dans la troisième phase de l’accord conclu entre Israël et le Hamas, expliquait Joe Biden mercredi soir. Ce «grand plan» est, de fait, quasiment indissociable des questions de gouvernance de Gaza, qui cristallisent les tensions entre Israël, le Hamas, les Etats-Unis et la communauté internationale.
Mardi, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, formulait son plan pour l’après-guerre à Gaza, qui prévoit que l’Autorité palestinienne reprenne le contrôle de l’enclave à long terme, après une période de transition supervisée par l’ONU. Impensable pour Benyamin Netanyahou, qui refuse que le territoire soit administré par le Hamas ou l’Autorité palestinienne à l’issue de la guerre.
Au centre des prérogatives d’Israël notamment: le nord de Gaza, par-delà le corridor de Netzarim – un couloir contrôlé par Israël qui divise l’enclave en deux, avec le nord d’un côté, le sud de l’autre. Ces derniers mois, Israël a procédé à des démolitions massives et érigé des fortifications militaires dans des zones résidentielles au nord de l’enclave, rapportait le Washington Post fin décembre. Le quotidien américain estime que l’armée israélienne était en train de mettre en place un corridor similaire à celui de Netzarim, en plein milieu d’une zone densément peuplée. «Bien que l’armée n’ait donné aucune explication publique sur ses activités de nettoyage et de fortification dans le nord, les analystes ont déclaré que l’axe nouvellement créé pourrait séparer l’extrême nord de la ville de Gaza, permettant à Israël de créer une zone tampon pour isoler davantage ses communautés du sud qui ont été attaquées le 7 octobre 2023», écrivait-il.
Pour l’heure, l'Etat hébreu devrait maintenir une zone tampon dans l'enclave pendant la première phase du cessez-le-feu, à en croire les médias israéliens. L'armée devrait rester présentes jusqu’à «800 mètres en profondeur de la bande de Gaza, sur une zone allant de Rafah au sud jusqu’à Beit Hanoun au nord», estimait une source proche du Hamas, citée par l’AFP mercredi soir.